Les 10 personnalités chaos de 2021

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Zita Bai (actrice), Dali Benssalah (acteur), Fred Blin (acteur), Anthony Scott Burns (réalisateur), Adam Driver (acteur), Julia Ducournau (réalisatrice), Kelsey Egan (réalisatrice), Charlotte Rampling (actrice), Léa Seydoux (actrice), Vicky Krieps (actrice). Mesdames, messieurs: voici les 10 personnalités chaos ayant marqué l’année 2021.


Zita Bai, actrice
Le festival Fantasia, que nous avons couvert cet été, est un appréciable réservoir de découvertes, et cette année, Baby don’t cry était notable parce qu’il est écrit et interprété par une jeune sino-américaine de 17 ans, Zita Bai. L’histoire, à la fois intemporelle et très actuelle, traite du passage à l’âge adulte, de ses partis-pris maladroits, du besoin de prendre des risques en rompant avec le passé pour se lancer dans un futur très incertain. Le point de vue adopté est celui d’une fille d’immigrés pas nécessairement bien acceptée dans son lycée, et étouffée à la maison par une mère névropathe. Bai joue elle-même cette pas encore adulte qui rêve de devenir cinéaste et qui s’entraîne en filmant au caméscope tout ce qu’elle voit. Sa vision poétique est transcrite en images comme lorsqu’elle voit sa mère avec des oreilles de truie, ou son petit ami comme un renard. Cette affirmation d’un regard original, désinhibé et fort, évoque inévitablement Harmony Korine au féminin. G.D.


Dali Benssalah, acteur
Ce sera le grand absent des prochains César, l’homme n’ayant pas pu accrocher son nom à un film français sorti cette année… Mais le breton-berbère qui monte pourra se consoler en se disant qu’il a bien amoché Daniel Craig pour son ultime tour de piste (la brute épaisse avec un oeil qui se barre en couille dans le No Time to Die – non, on ne parle pas de Rami Malek – c’est lui). Et se dire que le clip Territory (2017) de The Blaze, dans lequel notre acteur s’est révélé en jouant les gorilles et en s’offrant des push-us en rythme, a dépassé les 70 millions de vues cette année… On ne parle pas de gorille par hasard: son côté force tranquille façon Lino Ventura a souvent été évoqué, Dali n’ayant lui pas brillé au catch mais à la boxe thaï (champion de France à 19 ans, Mesdames et Messieurs). On aurait tort d’en faire seulement un habile distributeur de gnons: après avoir brillé en gendre présidentiel dans la série Les Sauvages de Zloto, ce fidèle d’Olivier Py confirme toutes les bonnes choses qu’on pense de lui dans Mes frères et moi de Yoann Manca, un super ragazzi movie présenté à Cannes, qui arrive sur nos écrans le 5 janvier. Quelqu’un pour murmurer à l’oreille de l’Académie que «Meilleur espoir 2023», ce sera trop tard? G.R.


Fred Blin, acteur
Formé à l’école du cirque, Fred Blin a fait le clown sur des scènes multiples avec ou sans sa compagnie les Chiche Capon. Il a aussi fait la première partie de Blanche Gardin, ce qui explique peut-être sa présence dans Oranges sanguines. Sa première apparition est impossible à rater: enveloppé dans un peignoir en soie, il nourrit avec des baguettes un cochon géant. Physiquement, le personnage ressemble à un croisement entre Lux interior et Richard Grant, période Withnail and I: il dégage un magnétisme pervers et vaguement dangereux qui donne presque envie de devenir son meilleur ami. Mais pas pour longtemps: ce qui se passe ensuite établit que finalement, ce n’était peut-être pas une bonne idée. N’empêche: cette image restera l’une des plus marquantes au cinéma cette année. Elle illustre la vieille devise hitchcockienne selon laquelle plus le méchant est réussi, meilleur est le film, ce qui, dans le cas d’Oranges sanguines est intéressant parce qu’il n’en manque pas (de méchants). C’est aussi une façon de rappeler une évidence: le vice a toujours été plus séduisant que la vertu. G.D.


Anthony Scott Burns, réalisateur
Avec son histoire d’adolescente atteinte de troubles du sommeil dont les cauchemars sont mis en images comme autant de visions à la fois familières et inquiétantes, Come true s’affirme comme l’objet le plus étrange apparu depuis longtemps. Ce qui serait déjà bien, si une révélation finale n’obligeait à reconsidérer complètement le film. Il devient alors un puzzle obsédant, rempli d’indices et de passerelles, qui se prête à autant d’interprétations qu’en a suscitées Mulholland drive, et qui, de même que le film de David Lynch, encourage de multiples visions. Son auteur, Anthony Scott Burns, en est à la fois le réalisateur, le co-scénariste, le chef-opérateur, le monteur et le compositeur de la bande originale. Originaire de Kitchener dans l’Ontario, il a réalisé très tôt des courts métrages avant de s’installer à Toronto où il s’est fait rapidement un nom en réalisant des clips, des pubs et des effets visuels en animation. Come true est inspiré de son expérience personnelle, lui-même étant atteint (en plus du syndrome d’Asperger) de paralysie du sommeil, qui induit des rêves éveillés. Même si les distributeurs ont trouvé le film insortable (il ne rentre dans aucune case), il a quand même fait le tour des festivals, suffisamment pour attirer l’attention sur Burns, dont le prochain film est actuellement en préproduction. G.D.


Adam Driver, acteur
Révélé par la série Girls, le grand échalas d’1,90m fait l’unanimité, de Scorsese à Spielberg en passant par Star Wars. Alors pourquoi le citer en 2021? Parce que cet ancien marine est devenu en quelques films l’un des acteurs les plus impressionnants actuels et que cette année, il s’est notamment illustré dans Annette de Leos Carax, où il chante les sublimes chansons des Sparks avec une Marion Cotillard au diapason (We love each other so much, inoubliable). On se souviendra longtemps, si longtemps, du Sympathy For The Abyss qui clôt le film et qu’il chante avec la jeune Devyn McDowell, le diamant, le secret le mieux gardé de 2021. Ce que l’on a vu de plus déchirant sur un écran de cinéma cette année. Puis il y a eu le doublé Ridley Scott. Après Le dernier duel sorti en octobre (et que l’on aime beaucoup), il se glisse dans House of Gucci (que l’on aime beaucoup moins) dans le costume de Maurizio Gucci, l’héritier de l’empire familial qui se fera assassiner sur ordre de son ex-femme, incarnée par la pop star Lady Gaga. Preuve de son incroyable versatilité. T.A.


Julia Ducournau, réalisatrice
Le chaos s’est littéralement emparé de la 74e édition du Festival de Cannes pour tout mettre sens dessus dessous. Qu’on aime ou pas Titane de Julia Ducournau, ce n’est pas tellement la question. Le geste du jury, présidé par Spike Lee, dont la nomination était elle-même historique (premier artiste afro-américain à ce poste), consistant à attribuer une Palme d’or à un film aussi singulier, s’avère un signal historique, aussi bien pour l’histoire du Festival de Cannes (seconde femme palmée d’or 28 ans après Jane Campion pour La leçon de piano, Palme française…) que pour le cinéma autre dans son ensemble. Il fallait oser, ce formidable jury a été à la hauteur de sa fonction, exactement comme le jury de Tim Burton pour la palme accordée à Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures en 2010 ou celui présidé par Steven Spielberg attribuant la Palme à La vie d’Adèle, à Léa Seydoux et à Adèle Exarchopoulos en 2013. C’est la récompense d’un geste de cinéma audacieux, de la vision du futur et, encore une fois qu’on aime ou pas le film, il faut plus se réjouir d’une telle détonation (d’un bon vieux coup dans les valseuses, oui) que d’un palmarès prévisible récompensant de vieilles croûtes académiques et consensuelles. Sur scène, la réalisatrice de Grave, que nous avions rencontré avant la récompense suprême, a remercié le jury d’avoir “laisser rentrer les monstres« . Et vous voudriez qu’on ne la cite pas parmi les personnalités marquantes de 2021? T.A.


Kelsey Egan, réalisatrice
Derrière son apparence de fable post pandémie qui voit une famille subsister en vase clos, Glasshouse traite à la fois de survie, de mémoire, de mythes et de manipulation, tout en glissant des allusions au colonialisme et à la différence entre l’histoire officielle et la réalité. Aussi bien formellement que thématiquement, il y a tant de maîtrise et de maturité qu’on a du mal à croire qu’il s’agit du premier long-métrage de la réalisatrice. Née aux Etats-Unis, où elle a fait des études de neurosciences avant de s’orienter vers le cinéma qu’elle a étudié à New York, Kelsey Egan s’est installée en Afrique du sud en 2007, où elle a entrepris de réaliser des films. En attendant de trouver des financements pour ses projets, Egan s’est fait une expérience en pratiquant le cinéma sous ses aspects les plus variés: actrice, cascadeuse, scénariste, réalisatrice d’effets spéciaux numériques, sans oublier les courts-métrages. Jusqu’à ce contrat pour un programme de trois longs-métrages de science-fiction dont Glasshouse a été le premier développé. Elle a fini de tourner The Fix, son second, en novembre dernier. Il est actuellement en cours de montage. G.D.


Charlotte Rampling, actrice
Avec Jacqueline Bisset, Julie Christie ou Jane Birkin, Charlotte Rampling a fait partie de cette «swinging london generation» d’actrices anglaises qui faisait tourner les têtes et n’avait pas froid aux yeux. Et surtout pas la Charlotte. Fuyant le pays natal, elle butine de gauche à droite, enchaînant les rôles comme on joue à la marelle: vers l’Italie, elle affirme son goût pour les femmes scandaleuses et décadentes dans Les damnés, Dommage qu’elle soit une putain ou Portier de Nuit. Oshima, Visconti, Chereau, Allen, Boorman, Lelouch, Risptein, Corman… elle va partout et nulle part, insatiable, curieuse. Femme fatale dans les golden eighties (On ne meurt que deux fois, Angel Heart, Mort à l’arrivée…), puis invisible dans les années 90: Ozon la fait revivre dans les 2000’s avec Sous le Sable et Swimming Pool, lui faisant afficher une soixantaine impudique. On s’incline. «J’en sais rien j’ai pris n’importe quoi» comme dirait l’autre: de Street Dance 3D à la comédie en chaussons, toute est possible avec Chacha. Cette année, c’était la seule petite constellation bizarre dans le terriblement ronflant Dune, et alors qu’on ne s’étonne même plus de la voir chez Verhoeven, on se surprend à penser qu’elle aurait dû s’acoquiner avec depuis bien longtemps. Chez les nonnes fofolles qui prient du nom du God(e), on attendait une prestation lourdingue de mère supérieure sadique dans la bonne tradition du genre. En rivale de Benedetta, elle apporte au contraire toutes les nuances chères au réalisateur Hollandais: tirant une gueule de cent pieds de long face aux miracles de la sainte lesbienne dorée, elle amène toute l’ambiguïté des multiples facettes de l’Église avec elle, nonne pas vierge et témoin tiraillé terminant sa course en ange de la mort. Elle prouve, sans surprises, qu’elle vaut bien mieux que la figu de luxe dans laquelle elle s’est doucement habituée. J.M.


Léa Seydoux, actrice
Un beau matin de décembre 2019, nous avons appris que Léa Seydoux allait avoir un premier rôle dans un film de Bruno Dumont. Décembre 2021: France, sélectionné à Cannes, s’impose comme l’un des meilleurs films de l’année (voire LE, pour votre serviteur) dans lequel Léa Seydoux joue une journaliste de télévision prête à tout pour faire le buzz, quitte à exploiter la misère humaine, et à se servir ouvertement de tous, jusqu’à ne plus être capable de distinguer la réalité de la projection qu’elle-même se fait des autres. Comme si la persona d’un monstre pareil allait si loin dans le détachement qu’elle se perdait dans des vertiges de conscience, où, par intermittence, le réel revient frapper de plein fouet. France est aussi le film le plus léger de tous les films satiriques sortis cette année (il y en a eu plusieurs) et le plus kantien de Bruno Dumont, car derrières ses atours de film piquant subsiste le récit d’une quête de soi à faire par-delà ou en dessous de nos écrans. Sous la couche de suie qui enveloppe notre quotidien. Un récit total où tous les aspects de l’essence humaine sont envisagés. À Cannes, France a fait un bide. De plus, et hasard du calendrier, c’est à ce moment précis qu’elle a été testé positive à la Covid 19. Elle devait y présenter un autre Desplechin (Tromperie), France, bien sûr, et le monumental The French Dispatch. Un autre grand film de l’année. Léa y incarne Simone, la gardienne de prison d’un peintre d’avant-garde français du début du siècle dernier. Par sa force de dissuasion, elle parvient à hisser le personnage de Moses Rosenthaler (Benicio del Toro) au rang des plus grands. Pas loin de tutoyer les dieux du Bateau-lavoir. Braque, Léger, Picasso aurait adoré Rosenthaler. Adoré, puis jalousé et tué dans l’œuf ensuite par la création d’une autre forme d’art. C’était le jeu des avant-gardes à l’époque. À chaque nouvelle peinture, une nouvelle définition de l’art. Et un monde détruit. Léa Seydoux, nue, debout sur son tabouret, le regard figé, face caméra, le sait. Et le spectateur le sait aussi. C’est le plus beau portrait du film. Ce serait presque oublier qu’elle est aussi dans le James Bond… S.R.


Vicky Krieps, actrice
Mais où dont était passée notre Vicky? Révélation forte en promesses de Phantom Thread, l’actrice quadrilingue (dont la langue de cœur est le français, telle Arletty en son temps) s’était depuis faite discrète: voilà quatre longues années qu’on espérait son retour en grâce. Feu d’artifice qui a lieu cet été avec trois films sortis en l’espace de 10 jours: Bergman Island, Serre-moi fort et Old (le machin de Shyamalan qui vaut bien plus que son atroce teaser). Trois films où sa tignasse permute entre la queue de cheval et la permanente, où elle passe sans ambages du deux-pièces au jacquard à col molletonné, et où les rides artificielles n’abîment pas sa frimousse, bien au contraire. Dites-vous bien qu’à Cannes la miss s’est permis le chapeau cubain pour monter les marches et que tout le monde, à commencer par un Protocole d’ordinaire strict, a trouvé ça chic. C’est peut-être qu’avec un regard aussi magnétique, il n’y a rien à faire pour amocher ce curieux visage, qui relève à la fois de la star hollywoodienne habituée des photocall et de la jeune fille qui va s’acheter sa baguette tradition le dimanche au bas de votre rue. Mystère que s’amuse à sonder Amalric dans son film, probablement l’une des meilleures choses qui soit arrivée au cinéma français cette année: ça faisait combien de temps qu’on n’avait pas vu un réal prendre autant de plaisir à filmer une actrice, réussissant ce truc (faussement simple) de s’effacer devant sa radieuse comédienne? G.R.

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