[GEMINI MAN] LE PARI FOU DE ANG LEE

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Ne cherchez plus le super héros du numérique, c’est ANG LEE. Celui qui veut révolutionner le cinéma et l’expérience de visionnage. GEMINI MAN, son prochain film, confirmera-t-il toutes les promesses visionnaires et révolutionnaires de l’extraordinaire BILLY LYNN? That is the question.

Henry Brogan, un tueur professionnel, est soudainement pris pour cible et poursuivi par un mystérieux et jeune agent qui peut prédire chacun de ses mouvements. Voilà le résumé en deux lignes du prochain Ang Lee, Gemini Man, qu’on attend de pied ferme en octobre. Le projet date d’il y a déjà plus de vingt ans, et plusieurs réalisateurs étaient pressentis pour le réaliser. Tout d’abord Tony Scott (à qui l’on doit Top Gun ou Man on fire) puis Curtis Hanson (L.A confidential, 8 Mile). Mais si le projet ne s’est jamais concrétisé, et on touche ici le sujet qui nous intéresse, c’est pour des «raisons technologiques». En effet, on apprend dans la bande-annonce que le jeune agent qui poursuit le protagoniste (incarné par Will Smith), n’est rien d’autre que son double en plus jeune. Le film montre l’acteur incarner deux âges différents, l’acteur actuel de 50 ans, et son double de 25 ans. Il ne s’agit pas vraiment, comme nous pouvons le lire ici ou là, de la technique du de-aging (du dé-vieillissement qui est une technologie pour rajeunir un acteur) employé dans les films de Marvel ou Rogue One avec Peter Cushing, mais ici avec Will Smith d’une entière création réalisée par ordinateur et de manière très réaliste en performance capture. Un pas dans les effets spéciaux a visiblement été franchi, le producteur parle d’une «révolution». Le fantasme de l’immortalité de l’acteur règne à Hollywood. Dans Hollywood Reporter, le superviseur des effets spéciaux, Guy Williams, explique que le processus de création du jeune Will Smith consiste tout simplement à rechercher des images de l’acteur dans sa carrière passée (dans Bad Boys, Independence Day etc) pour les exploiter à nouveau. Retrouver un cinéaste en quête de visions comme Ang Lee derrière un tel projet s’avère évident. Dans un autre article, Lee se prononce avec humour sur le fait que Will Smith était donc deux fois plus cher, et que le véritable problème s’avère que Will est un acteur bien meilleur qu’il ne l’était il y a 30 ans. Lol.

Cinéaste Taïwanais, qui bosse dorénavant pour Hollywood, Ang Lee a su s’imposer par des œuvres marquantes d’une maitrise folle, remportant dans le monde différentes récompenses. Il a réintroduit, entre autres, le cinéma d’art martial, avec une maitrise rare de la chorégraphie (il avait fallu trois semaines pour tourner la séquence du combat dans la forêt de bambous dans Tigre et dragon). Puis, c’est précisément le gars qui, après deux films (L’Odyssée de Pi et Un jour dans la vie de Billy Lynn), s’est imposé dans l’industrie comme un grand maitre du numérique et de l’utilisation de la 3D – et qui pour lui est une technologie incroyable et riche, manquant actuellement de connaissance (de confiance, pourrait-on dire). Toujours dans Hollywood Reporter, il confie qu’il essaie de créer une nouvelle esthétique pour le cinéma numérique et que son plus grand espoir serait que le spectateur adhère et que d’autres cinéastes le rejoignent dans ces expérimentations. À ce sujet, Gemini Man est doté d’un grand sens du numérique, il a été tourné en HFR (High Frame Rate) à 120 images/seconde et en 3D; alors que d’ordinaire, les films sont tournés avec une cadence de 24 images par seconde. À l’heure actuelle, il est le seul à tourner de cette manière. Peter Jackson, avait amorcé le pas avec Le Hobbit et ses 48 images/secondes, et sera suivi par James Cameron et les prochains volets d’Avatar. Et cette technique encore novatrice dans le monde du cinéma préoccupe beaucoup le cinéaste, non pas en termes de réalisation, mais de savoir si ce type de film peut faire partie d’une culture en tant que médium distinct de notre vision actuelle du film. Une chose est sûre, Ang Lee n’est pas prêt à revenir à la 2D.

Cette technique de haute cadence d’images, Ang Lee l’avait déjà mise à l’œuvre dans son précédent film, le merveilleux Billy Lynn, qui traitait sous un penchant psychologique des affres de la guerre, où l’on suivait des soldats arrachés du combat et qu’on a mis au centre d’un spectacle-pouding nauséeux gonflé à max par un patriotisme que le cinéaste n’hésitait pas à rendre ironique – posant alors devant nous un spectacle de cinéma à la fois singulier, immersif, expérimental et finalement novateur. Rien que ça. C’est pourquoi, sans même savoir ce que cela apportait au film dans son expérience de visionnage, la sortie française qui amputait de ce format (aucune salle n’est soi-disant équipée pour projeter le film dans ces conditions : 3D 4K HFR à 120 images/seconde) était à l’époque un immense foutage de gueule mélangé à notre énorme frustration de spectateur. Une fois le film visionné, on s’apercevait que le film reconverti en 2D et en 24 fps révélait une certaine prouesse technique, une certaine précision et puissance formelle – toute la mise en scène était pensée dans un format particulier et cela se ressentait – ; on rêvait de voir le film dans les conditions maximales. À ce propos, vous pourrez trouver, en farfouillant dans les archives du Chaos, un article consacré à l’expérience du film par Jacky Goldberg qui avait eu la chance de voir le film dans de bonnes conditions. Encore une fois, cela nous permet d’en rêver.

Sur Gemini Man, Ang Lee a déclaré qu’il se sentait beaucoup plus à l’aise avec les exigences de cadence de prise de vue ultra élevée et de résolution d’image. Cela est d’autant plus excitant, mais aussi frustrant. Pourrons-nous voir ce film dans les conditions souhaitées? Toujours est-il qu’en lisant la fiche de l’équipe technique sur imdb, nous pouvons apercevoir que le directeur de la photographie embauché n’est d’autre que Dion Beebe : de quoi nous donner pleine confiance en l’imagerie de Gemini Man, tant son travail chez Michael Mann est assez bluffant (autre grand cinéaste jouant avec le numérique). Aussi triste que cela puisse paraitre, malgré une probable version 2D, le film est empli de belles promesses.

Pour faire rapidement le point, et de manière très grossière, il faut savoir que la norme du régime d’image a 24 images/seconde s’est posé via l’industrie cinématographique. Avant 1927, les films étaient tournés en 16 images/secondes ce qui donnait une allure de mouvement plus rapide. C’est à partir de 1927, date cruciale de la sortie du fameux Chanteur de Jazz (The jazz singer), que l’industrie a dû repenser la cadence de défilement des images pour des raisons de retranscription des hautes fréquences sonores. La cadence de 24 images/seconde, a rapidement permis une bonne lecture des pistes sonores, mais aussi une restitution assez naturelle des mouvements à l’écran. Puis, c’est via la télévision et le jeu vidéo que cette norme du 24 fps a été remise en question, puis via l’arrivée du numérique; puisque la disparition de la pellicule a permis d’amener une repense de l’image et du fonctionnement des caméras. Ce qu’on appelle le High Frame Rate 3D (cette technique de la haute cadence d’image) n’est pas simplement un nouveau gadget de cinéaste-branleur, mais bien un outil repensant non seulement le visionnage – puisqu’il s’agit de favoriser une plus grande immersion et un plus grand réalisme, l’image devient proche de ce que notre œil perçoit dans la vie, par exemple il n’y a plus de flou de mouvement – mais de repenser également la manière de tourner les films – une repense de la lumière et du jeu d’acteur (explique Ang Lee dans les bonus de Billy Lynn). A ce propos, c’est ce que Jacky Goldberg décrivait, «la réalité s’offre à nous dans sa totalité, et donc dans son obscénité», tant tous les détails, les imperfections physiques, se voient sur les visages.

Dans les bonus du film, les acteurs un à un, expliquait qu’il devait repenser leur manière de jouer, qu’il ne fallait pas montrer le jeu, mais une véritable sincérité, car la haute résolution révélait rapidement l’artifice. C’est pourquoi les acteurs n’étaient pas maquillés. C’est repenser la manière de faire du cinéma. Par ailleurs, la haute cadence d’image posait la promesse d’un meilleur rendu de visionnage d’un film en 3D. En effet, cela réduisait le flou de mouvement, améliore la netteté des images, ainsi que de réduire les risques de nausées et de maux de tête. Il y a d’ailleurs presque une unanimité sur la puissance de cette technologie, malgré notre temps d’adaptation devant cette image s’y particulière, le résultat y est apparemment époustouflant. Il s’agit pour certains de la meilleure 3D vue de toute leur vie. Il y a donc ici l’idée de repousser les limites du cinéma numérique, tout en essayant d’y montrer ce qui peut être fait et ainsi changer le rapport du cinéma et du public. En somme, une autre manière de rêver le cinéma.

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