[CANNES 2021] GAZETTE CHAOS DU FESTIVAL / JOUR 8

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La Rédaction CHAOS raconte son Festival de Cannes. Jour 8: Oranges Sanguines à Minuit, Bruno Reidal à la Semaine, un Kornél Mundruczó à Cannes Première, The French Dispatch & La Fièvre de Pétrov en compétition, Mes frères et moi à UCR.

Quelques mots en préambule sur le méchant-movie dont tout le monde parle, auréolé d’un mystérieux teaser et d’une caution Chiens de Navarre qui ne pouvait qu’intriguer: chaos ou pas chaos, Oranges Sanguines, le nouveau Jean-Christophe Meurisse, présenté en Séance de minuit? Tel un Orangina rouge qui exige son petit délai d’acclimatation (seuls les boomers comprendront la référence), on a laissé la chose décanter et on peut maintenant se le dire: il s’agit d’un des films les plus décapants du festival, éparpillé entre le catalogue de petites situations absurdes: un couple à la retraite massacré par le sur-endettement qui mise son salut sur un concours de rock, un simili Cahuzac taille mannequin qui apprend à mentir de la plus cynique des façons pour dissimuler son compte à l’étranger, une ado qui va s’initier aux choses du sexe de la plus étrange des façons… et les variations d’humeur malaisantes propres à la petite troupe – du comique Deschiens au torture porn, il n’y a visiblement qu’un pas…

On n’a pas spécialement envie de vous spoiler ce que recèle ce cocktail bien français qui crache ses quatre vérités à la face de l’Hexagone, on peut juste vous dire que le film fait du bien (enfin on se comprend), surtout au milieu d’une Sélection officielle ni bonne ni mauvaise mais très, très, très peu surprenante. Christophe Paou, l’assassin de L’inconnu du Lac, mérite un Oscar. Glouglou sur la Croisette.

Avant d’enchaîner, succombons à un moment de grâce à la NKM.

 

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Sinon, Gautier a également vu Mes frères et moi sélectionné à Un Certain Regard. Mode grosse ambiance activée en Debussy, où le cinéaste Yohan Manca et sa comédienne-compagne Judith Chemla sont absents de cette première mondiale, après une violente dispute survenue à Paris au début du mois, dont la presse internationale s’est déjà fait l’écho (on se demande bien ce que Thierry Frémaux a trouvé à dire en guise d’introduction). C’est con: le film est une petite merveille de ragazzi-movie situé dans un quartier populaire ensoleillé, narrant les (més)aventures estivales du jeune Nour, 14 ans, enlisé dans les conneries des grands frères, des travaux d’intérêt général, et la grave maladie de sa mère clouée à son lit d’hôpital (l’un des grands thèmes du festival). Membre le plus sensible de la petite fratrie, il croise la route de Sarah, chanteuse lyrique qui dispense des cours et qui va prendre cet étonnant fan de Pavarotti sous son aile. Et lui permettre, exactement comme dans Petite nature de Samuel Theis, de sortir d’un quotidien bien grisou, fait d’insultes et de grosse tatanes à la maison. Un premier long d’une subtilité folle, où l’on passe de Molotov 4 de Sefyu à Una furtiva lagrima en moins de deux: une relecture hyper sophistiquée des Vitelloni felliniens où tout le cast rayonne (donnez un César à Sofian Khammes, il est grand temps). Ça sent la pastèque à tout va et ça rappelle aux festivaliers bunkerisés dans le Palais des festivals qu’il existe une plage bondée à deux pas… Gros coup de coeur chaos.

Signalons aussi à la Semaine de la Critique, un premier long français qui trimballe son petit buzz depuis nos previews cannoises: Bruno Reidal de Vincent Le Port. Cantal, 1er septembre 1905. Un séminariste de 17 ans est arrêté pour le meurtre d’un enfant de 12 ans. Il se rend lui-même aux autorités après le crime. Pour comprendre son geste, des médecins lui demandent de relater sa vie depuis son enfance jusqu’au jour fatidique. C’est l’histoire vraie de Bruno Reidal, jeune paysan du Cantal qui, toute sa vie, lutta contre ses pulsions meurtrières. Tout en épure, cet évident hommage à Moi, Pierre Rivière (1976) n’est pas un film de serial killer à proprement parler. On y suit le parcours intérieur (raconté avec la voix-off très aiguë de son jeune acteur principal, Dimitri Doré) de ce garçon qui va murir pendant plus de 10 ans l’idée de tuer des personnes qu’il envie ou qu’il désire, lui qui vient d’un milieu pas franchement privilégié et qui s’initie à 10 ans au sexe (forcé) avec le paysan du coin. Charmante particularité: pendant toute sa puberté, il ne jouit que quand il s’imagine en train de buter ses camarades. Et c’est avec grande fascination, et sans sermons moralisateurs aucun, que le professeur Lacassagne (Jean-Luc Vincent au top, as usual) va recueillir son témoignage. Un incroyable document littéraire d’ailleurs, que le cinéaste a découvert grâce au travail du serial menteur Stéphane Bourgoin. Avec sa sobriété façon Bresson, le film impose d’emblée une écriture sèche, une aridité bienvenue pour montrer la psyche du petit monstre, une mise en scène très précise qui donne envie de suivre son auteur dans les années à venir. Mais la torpeur est aussi peut-être l’écueil de ce film hyper jusqu’au-boutiste, qui refuse les variations narratives et les ruptures de rythme. Et qui pourrait en laisser certains sur le carreau.

Parce qu’on est impolis, on se permettra une petite incise sur, surprise, La Croisade de Louis Garrel qui est projeté dans le cadre de la section éphémère Le cinéma pour le climat et qui, croyez-le ou pas, a du Chaos dans les veines – oui, tout est chaos, vous n’avez pas compris? Laetitia Casta et Louis Garrel (derrière mais aussi devant la caméra) jouent un couple réalisant un jour que, OMG, leur rejeton a revendu leurs boutons de manchette et autres robes. ils découvrent finalement que ce dernier fait partie d’un groupe d’autres enfants qui prennent le pouvoir pour protéger la planète. La fable d’anticipation, qui commence comme une farce drôlement chaos, sur un mode absurde-surréaliste (Jean-Claude Carrière au scénario les enfants, c’est vraiment pas un hasard), oppose de façon bien sentie l’embourgeoisement des adultes face aux inquiétudes des enfants qui comptent se sauver par eux-mêmes. Le résultat n’a pas de gras (1h09, seulement) et ça tient bien. Bonus: Garrel qui décède intérieurement pendant la conf de presse sur le climat, ça donne envie de mettre ★★★★

Autre petite incise pour Evolution de Kornél Mundruczó qui, lui aussi, peut se targuer d’un beau label chaos. Voilà un très étrange objet, présenté à Cannes Première, sur lequel on ne savait absolument rien – on était resté sur l’expérience américaine du réalisateur avec Pieces of a woman. Soit trois épisodes pour filmer la vie, les gens, le monde comme un opéra avec des mouvements de caméra qui font battre le coeur. Le premier se déroule intégralement dans un souterrain humide, avec des hommes en manteau de cuir frottant le sol et les murs, interrompus dans leur tâche par le cri d’un enfant dans un Auchswitz, libéré par l’Armée rouge. Et le dernier plan de cette première partie dévaste. Le second segment se déroule à Budapest, le bébé est une vieille dame qui ne se souvient plus très bien et qui converse avec sa fille, tout juste divorcée. Dans le troisième, la vieille dame n’est plus et le petit fils, brimé par ses camarades de lycée, s’imagine que la vie est dégueulasse mais peut-être qu’un truc appelé l’amour est plus fort que toutes les dégueulasseries. Le tout en trois longs plans-séquences virtuoses, emballé c’est pesé. On a beau ne pas adorer tous les films de cet auteur, celui-ci a quelque chose que les autres n’ont pas.

On finit le bilan de la journée par la compétition. Tout d’abord, The French Dispatch de Wes Anderson avec son casting six étoiles (qui arrive en bus sur le red carpet), qui ne dérobe pas au style Wes Anderson et qui joue la carte du patchwork avec ses petites histoires enchâssées, conçues comme autant de chapitres visuels, ouvragés avec minutie, en noir et blanc, couleur ou dessin animé. Et où l’histoire est parfois réduite au rang de prétexte. Soit un recueil d’histoires tirées du dernier numéro d’un magazine américain, publié dans une ville française fictive du XXe siècle, et est l’occasion pour Wes Anderson de dire son amour du journalisme et de la France – version carte postale des années 1960. Le fidèle Bill Murray joue le rédacteur en chef du supplément d’un magazine américain, basé dans la ville française fictive d’Ennui-sur-Blasé. S’y greffent Tilda Swinton, Adrien Brody et Owen Wilson, autres fidèles « andersoniens », et des convertis récents, comme Timothée Chalamet et Benicio del Toro. Le panel aime assez ça.

Autre film en compétition: Petrov’s Flu de Kirill Serebrennikov, cinéaste interdit de quitter la Russie en raison d’une condamnation pénale. Les acteurs ont arboré sur les marches leur poitrine ornée d’un badge rouge à ses initiales, « KS », en signe de soutien, et ont été accueillis à leur sommet par le président du Festival Pierre Lescure et le délégué général Thierry Frémaux qui le portaient itou. Le fauteuil frappé du réalisateur russe, puni pour son effronterie, est resté vide, comme en 2017 lors de la présentation de Leto – il était à l’époque assigné à résidence. Ce qui a donné lieu à de belles interactions chaos.

Il est donc là, le fameux film de milieu de festival (celui programmé après un week-end de clustering parties endiablées) qu’il ne fallait surtout pas voir après avoir englouti une quatre fromages extra large. On en a vu des beaux papiers plein d’extase après ce voyage de 2h25 tonitruant et bubonique, narrant la transe hallucinatoire d’un dessinateur de BD touché par la grippe (et par la gnôle avec son copain Igor!). Tout ça paraît extrêmement attractif sur le papier – on se souvient de la douce euphorie qui avait saisi la salle lors de la première de Leto en 2018 – mais qu’on se le dise: on est totalement passé à côté. Comme il est certain que le film divisera la rédaction à sa sortie en décembre prochain, et comme de toute façon, il n’y a aucun intérêt à résumer cette chose en 10 lignes, que ce soit pour la descendre ou pour l’emmener sur des sommets festivaliers, on ne vous en dira pas plus. Comment ça, on se défile!? Appelons ça du pragmatisme cannois. Panel dans le même abîme.

Demain, on reviendra longuement sur le choc de Titane, Julia Ducournau, pur film de genre super gonflé qui, on l’espère, en raison de ses audaces et de ses outrances, ne sera pas chahuté en projection de presse mais bel et bien célébré comme un bel objet chaos. De toute façon, si les critiques insultent le film ou sifflent, on lâche Fred des Anges de la télé-réalité dans la salle, et que je te fous en l’air les sacs estampillés Festival de Cannes…

 

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