« Old » de M. Night Shyamalan: un film de plage, mais une plage de pur cauchemar

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Aaron Pierre, Vicky Krieps, Gael García Bernal, Abbey Lee / Un coup de théâtre long comme mon bras

En vacances dans les tropiques, une famille s’arrête pour quelques heures sur un atoll isolé où ils découvrent avec effroi que leur vieillissement y est accéléré de façon drastique et que leur vie entière va se retrouver réduite à cette ultime journée.

En adaptant Château de sable, la BD de Pierre-Oscar Lévy et Frederik Peeters qui décrit un endroit où les gens vieillissent à vitesse accélérée, M. Night Shyamalan a trouvé un matériau idéal pour renouer avec la veine qui a fait sa réputation de maître du thriller à twist, dont le sommet était Le village. Mais il y a aussi trouvé une connexion plus actuelle: en pleine première vague de la pandémie de Covid, Shyamalan n’a pas eu de mal à faire le lien entre la situation de ces vacanciers coincés sur une plage et le confinement qui oblige non seulement à apprendre à vivre différemment dans un espace restreint, mais à se poser des questions sur soi, sur le temps qui passe, et sur la condition de mortel. De la BD originelle, le cinéaste a gardé l’idée de base d’une aberration naturelle où, sous l’effet d’une concentration de roches magnétiques, les espèces vivantes vieillissent de plusieurs décennies en une journée. Il a gardé aussi la variété de personnages assemblés sur cette plage, mais il a aménagé le début et la fin pour s’approprier un récit qu’il boucle à sa façon. Une façon pas aussi prévisible qu’on ne pourrait le penser, puisqu’il désamorce lui-même le twist attendu en indiquant tout au long du film que les personnages sont surveillés, et qu’ils en sont eux-mêmes conscients.

Le début, qui montre l’arrivée de la famille de Gael Garcia Bernal dans un hôtel de luxe, est à la fois réjouissant par sa bizarrerie et vaguement inquiétant quand on sent poindre quelques idiosyncrasies shyamalanesques, comme sa direction d’acteur parfois déroutante (souvenez-vous de la prestation complètement à côté de la plaque de Mark Wahlberg dans Phénomènes). Ici, Gael Garcia Bernal dit des phrases surréalistes à l’adresse de ses enfants, avec son accent étranger qui donne l’impression qu’il ne comprend pas un mot de ce qu’il dit. De même, la luxembourgeoise Vicky Krieps, qui joue sa femme, parle avec un fort accent étranger, contribuant à cet effet déstabilisant (qui par la suite s’avère délibéré). Mais ces détails sont vite balayés par la dynamique qui se met en place aussitôt que les protagonistes se retrouvent sur la plage: le couple Bernal et leurs deux jeunes enfants, le couple du médecin (Rufus Sewell) avec sa mère et leur fille, un autre couple composé d’un infirmier et d’une psy, et un rappeur solitaire qui a l’air perdu. Tous sont de couleurs et de provenances variées (d’où l’importance des accents). La découverte du cadavre d’une jeune femme sème le chaos et les caractères se révèlent, notamment celui de Rufus Sewell, qui manifeste des bouffées d’agressivité meurtrière. Chaque minute qui passe ajoute à l’anxiété, d’autant que les personnages se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient pas partir, comme dans L’ange exterminateur (Luis Buñuel, 1962) et qu’ils subissaient ce fameux vieillissement accéléré. Les morts s’accumulent, et Shyamalan diffuse les informations et les rebondissements avec une science magistrale du tempo, laissant le spectateur fasciné, horrifié et avide d’en savoir plus.

Ce storytelling éprouvé est mis en scène sous une forme qui semble vouloir démontrer qu’il est parfois plus judicieux d’utiliser des vieilles recettes quand les circonstances le demandent. Pour traduire le paradoxe du temps qui passe dans un endroit qui ne change pas, les images ont une texture caractéristique qui révèle l’utilisation de la pellicule. Et dans cette même veine traditionnelle, il n’y a quasiment pas d’effets numériques. De ce point de vue, c’est l’anti-Benjamin Button: les effets de vieillissement sont assez discrets et dépendent davantage des acteurs que des maquilleurs. Probablement que des effets trop voyants auraient détourné l’attention de l’essentiel. Comme les enfants sont ceux qui passent par les transformations les plus signifiantes, ils sont incarnés par des interprètes différents aux différentes étapes de leur croissance. On peut juste signaler des effets spéciaux «pratiques» mais non moins spectaculaires pour illustrer le destin très funeste qui frappe la femme du médecin dans sa chair et dans ses os. Il est amusant que Old sorte en été, parce que c’est un film de plage, mais une plage de pur cauchemar qui va peut-être faire réfléchir à deux fois les vacanciers en quête de crique paradisiaque éloignée de la foule. G.D.

NOS NOTES ...
Gérard Delorme
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critique-old-de-m-night-shyamalan21 juillet 2021 en salle / 1h 48min / Thriller, Fantastique De M. Night Shyamalan Avec Gael García Bernal, Vicky Krieps, Rufus Sewell

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