Le top 5 chaos de Anthony Clerc

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Notre lecteur Anthony Clerc donne ses 5 films Chaos préférés au monde. Vous aussi, envoyez vos textes, tops, critiques… à redaction@chaosreign.fr

La Guerre des mondes (Steven Spielberg, 2005)
De la même façon que son prédécesseur La Guerre des Mondes de Byron Haskin (1953) était en avance, Steven Spielberg a signé en 2005 le blockbuster le plus 2010-2020 qui soit. La décennie suivante aura été rythmée par les crises sanitaires, le terrorisme et les peurs liées à l’autre, cet éventuel envahisseur extérieur, qui serait déjà là invisible mais bien parmi nous. La mise en exergue, révélatrice de ce climat de paranoïa qui règne, est vue à travers le personnage de Tim Robbins, dans un rôle presque de Trumpien avant l’heure. Ce dernier a simplement envie de sauver, comme Tom Cruise ironiquement à son meilleur dans la peau d’un antihéros prolétaire, l’institution familiale et ses valeurs made in USA. Comme si l’horizon de la séparation de deux Amériques à venir était déjà proche. C’est en tout cas ce qu’il espère, mais comme une large partie de ses compatriotes, futurs survivalistes ou QAnonistes. C’est bien la peur qui prévaudra et qui aura raison de ses principes, lorsque cette peur littérale d’être dépossédée de son propre sang lui fera perdre le sens de la raison le rendra dangereux car instable.

Au-delà de l’aspect politique voire sociologique totalement prophétique, quoi de plus chaos que ces images d’une rivière qui transporte des dizaines de cadavres sous les yeux d’une petite fille qui perd, à ce moment, toute innocence? Ou alors un train qui brûle parabole de la déportation nazie, passant à toute vitesse sous les yeux d’une foule de réfugiés ou encore plus évident le héros couvert de cendres humaines ramenant à la pluie de cendres à l’écroulement des tours jumelles? Les parallèles avec World Trade Center sont nombreux et l’une des scènes les plus symboliques en ce sens sera celle où Ray, père de famille démuni tente d’empêcher son fils de partir dans une riposte irréfléchie, la métaphore d’une Amérique vengeresse mais démunie est alors totale mais elle marche aussi sur un autre pôle, un patriarche Irakien empêchant son fils de partir faire le djihad après des bombardements américains en serait donc son miroir. Cinématographiquement, la sortie de terre du tripode demeurera comme un grand moment de film-catastrophe, souvenir d’une scène tetanisante et d’une salle de cinéma en complète apnée. La fin un peu précipitée restera le seul écueil d’une pièce capitale dans l’oeuvre de Spielberg sous des apparats de remake commandé par Hollywood et se révèle être le plus grand blockbuster post-11 Septembre des années 2000, qui profile toute une époque à venir pour les USA et un grand film sur la peur et toute la folie des hommes.

‌Climax (Gaspar Noé, 2018)
Une autre face du chaos, par un réalisateur qui pourrait en être une définition littérale. Encore hanté par les lumières et le vertige du traumatique Irréversible, encore en descente et en carence de sérotonine à cause d’Enter the Void ou de Love, on se mange avec son Climax, la crise d’angoisse ultime faite film. Un maelstrom organique qui fait tournoyer les corps, les esprits voire les âmes. Une jeunesse enfermée dans son époque, qui n’a comme choix que celui de danser où de jouir dans les deux cas l’éphémère, et ce jusqu’à l’épuisement ou bien celui de s’entre-dévorer. Très peu graphique comparé aux précédents mais tellement anxiogène, Gaspar Noé signe un film comparable qu’à lui-même, un geste plus qu’un film d’ailleurs, qui me hante toujours (Supernature de Cerrone tourne en boucle depuis). Un mouvement de transe cinématographique dont mon seul regret est de n’avoir pu le découvrir en salles tellement le trip est puissant. L’une des seules occasions qui m’ait été donné de connaître peu ou prou la même sensation fut l’Intermezzo de Mektoub My Love vu à Cannes qui m’a laissé la même sensation d’éreintement et de sentiment post-transe mais avec une gueule de bois plus grande et moins excitante que celle de Climax. Plus qu’un film donc, une expérience qui m’a fait ressentir quelque chose physiquement autant dire que c’est rare, donc précieux et hautement chaos.

Mais ne nous délivrez pas du mal (Joel Seria, 1971)
Désormais habitué aux tops du chaos, j’ai l’impression d’un film qui vit même une seconde jeunesse ces temps-ci et ça doit certainement être symptomatique de quelque chose. La fascination pour le film de Joël Séria vient certainement par son caractère brûlant (littéralement) presque abrasif et que l’on a tellement de mal à imaginer comme étant faisable aujourd’hui. C’est presque le témoignage si ce n’est d’une époque, en tout cas d’une parenthèse ou ce genre de film pouvait exister. Anticlérical, cinglant envers les petits notables de province, abordant déjà la violence faite aux femmes et leur émancipation sous des angles parfois très dérangeants ou bien la scène finale proprement sidérante et amené tellement brutalement que l’apparition du générique sonne comme la dernière estocade. Ce qui fait également sa rareté, c’est une sorte de poésie tellement improbable, encore une fois tangible dans son climax, qui emporte le tout et fait supporter quelques errements comparables à certaines longueurs des films de Bertrand Blier même époque. Mais qui témoigne aussi d’une liberté totale du réalisateur puisque même ses scories sont là aussi totalement assumées. Dans tous les cas c’est plus qu’une oeuvre radicale, presque un témoignage, un vestige subversif d’un temps qui n’existera certainement jamais plus. Un film que Verhoeven dans le sillage de ses films période 70’s (Spetters, Turkish Delices) aurait probablement adoré. Encore un indicateur donc de sa très haute teneur en chaos.

L’année du dragon (Michael Cimino, 1985)
Véritable choc toutes époques confondues pour moi, L’année du dragon du maudit Michael Cimino est un passionnant film de mutilation. Mutilation des corps tout d’abord mais aussi mutilation des valeurs, mutilation des liens familiaux, mutilation des sentiments. Chez le réalisateur New-Yorkais, la violence n’a aucune raison de s’arrêter, les fantômes du Vietnam sont plus que présents, la ville se dévore elle-même et comme le signifie la parenthèse entre Mickey Rourke et Ariane Koizumi, l’amour de son côté paraît impossible.
Chez les gangsters aussi, les liens s’effritent, on mutile les valeurs de loyauté pour grimper, on tue pour un rien bref aucun échappatoire à une violence que Cimino qu’on sent totalement désabusé filme comme étant presque systémique. Grand film hanté par la mort qui semble nichée au bord de l’image à chaque moment, terrible vision d’une Amérique et de ses démons, le film aborde la question de l’appartenance ethnique, du racisme et des stéréotypes par exemple mais c’est aussi un polar parfois tétanisant riche de fulgurances (fusillade du restaurant, passage en Thaïlande hallucinant) toutes mémorables. Bande-originale folle, plans hypnotiques et surtout un ton foncièrement nihiliste, chez Cimino la mort est montrée de manière crue et rien ne semble la contredire. Un film fleuve dont je ne me remets toujours pas.

Leaving Las Vegas (Mike Figgis, 1996)
Beaucoup plus fort à mes yeux que certaines balades Lynchiennes, cette romance bouleversante entre un Nicolas Cage déjà mort et une Elizabeth Shue (quelle actrice!) qui aspire à revenir parmi les vivants, est un précipité de l’époque 90’s impossible à réitérer. Avec bien sûr les excès que cela comporte mais le chaos c’est aussi ça à mes yeux une sorte de liberté et de générosité qui fait passer mêmes les pires effets ringards des nineties pour quelque chose de touchant car profondément sincère bien que risible. Paradoxalement, la meilleure phrase résumant l’histoire de ce film viendrait de son versant Gilliamesque et légèrement surcôté Las Vegas Parano: Celui qui se transforme en bête se délivre de la douleur d’être un homme. J’ai hésité avec Showgirls que j’adore plus que tout mais Verhoeven est tellement pour moi le cinéaste le plus chaos de l’univers que cela me paraissait trop évident de citer un seul de ses films. Une histoire d’amour supra chaos mais surtout tellement belle dans ce qu’elle a de moche, tellement crue qu’elle en paraît subtile et tellement fragile qu’elle en paraît indestructible.

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1 COMMENTAIRE

  1. Quelqu’un qui met  » Climax  » dans son top 5… Raaah…
    Un commentaire génial qui donne encore plus envie de découvrir  » Intermezzo  » sinon

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