“Clair-Obscur” de Rebecca Hall, la réussite faite premier film

0
568

Dans la ville de New York des années 1920, une femme noire voit son monde bouleversé lorsque sa vie se mêle à celle d’une ancienne amie d’enfance qui se fait passer pour blanche. Deux beaux portraits de femme dans ce premier long métrage très réussi de Rebecca Hall, ayant atterri assez discrètement sur Netflix en novembre et à rattraper d’urgence.

On ne la connaissait que comme actrice. Clair Obscur, premier long de Rebecca Hall, a bénéficié d’un joli petit buzz lors de sa présentation à Sundance en janvier 2021. On ne savait pas quand il allait arriver jusqu’à nous. Il est finalement sorti sur Netflix en novembre, avec une relative discrétion, sans doute pas assez mis en avant par la plateforme pour obtenir la caisse de résonance qu’il mérite. On y suit deux femmes métisses qui se croisent dans le New York des années 1920, se retrouvant par hasard dans la salle de réception d’un grand hôtel. Deux amies d’enfance qui se sont perdues de vue avec le temps, la vie, les vicissitudes. L’une (Tessa Thompson) vit à Harlem, l’autre (Ruth Negga) se fait passer pour blanche dans les beaux quartiers. L’actrice britannico-américaine Rebecca Hall, que l’on a vu cette année dans le film fantastique La Proie d’une ombre, passe derrière la caméra. Et réussit absolument tout ce qu’elle entreprend sur un sujet aussi méconnu en France que potentiellement casse-gueule partout: le passing racial (le titre US s’appelle Passing). En d’autres termes, comment des Afro-Américains à la peau claire se sont faits passer pour des Blancs au début du siècle dernier. Historiquement, c’est dans le contexte de l’esclavage (légalement en vigueur jusqu’en 1865) puis des lois Jim Crow (la colonne vertébrale légale de la ségrégation dans les Etats du Sud, de 1876 jusqu’aux années 60) que ledit passing a pris son essor aux Etats-Unis. Voilà pour la toile de fond, déjà explorée dans le roman novateur de 1929 de l’écrivaine Nella Larsen dont le film s’inspire et ayant une résonance intime pour la cinéaste – son grand-père, métis, avait lui-même effectué ce passing​.

Mais, et c’est la bonne surprise du film, Rebecca Hall n’a aucune envie de faire dans la leçon d’histoire, de sombrer dans le didactisme ou de se hasarder dans le mélodrame de mauvais aloi. A la fois réalisatrice et scénariste, elle aborde tout avec sa personnalité et sa sensibilité et on le comprend dès la première minute. Avec une mise en scène sèche et en même temps ultra-sensible aux regards (et quels échanges de regards!), aux gestes et aux tremblements, la cinéaste préfère sonder tout ce qu’il y a de trouble et d’humain dans l’Amérique phagocytée de l’entre-deux-guerres: l’ambiguïté des rapports humains, la quête d’intensité et d’identité dans un monde balisé de codes et de conventions, l’usurpation traitée ici à la manière d’un suspens affectif et moral et ce dans un format carré en 4/3 pour traduire le joug de l’oppression sociale. Loin d’être une coquetterie d’exercice de style, le splendide noir et blanc, s’il sied au sujet, donne un relief étrange, presque onirique au récit, comme si la rencontre des deux femmes était fantasmée (lors de sa première apparition, Ruth Nega ressemble à un fantôme), amplifié par des effets aussi simples que signifiants (la fissure au plafond de la chambre). Autant de choix avisés, réfléchis, dans cette étude de moeurs qui prend son temps pour amener jusqu’au bord du gouffre ceux qu’il accroche, qui laisse toute latitude à deux actrices hors pair et qui place Rebecca Hall du côté d’un cinéma de la marge – difficile de ne pas penser à notre ami Todd Haynes, fan de Douglas Sirk, des poupées brisées et des personnages féminins qui meurent en silence dans une société des apparences. La réussite est telle que certains, de mauvais poil, jugeront ce coup d’essai peut-être trop appliqué, trop soucieux de bien faire et de bien se démarquer (le fameux c’est-trop-bien-c’est-suspect). Mais des premiers films aussi solides, émouvants et subtils, on en veut bien tous les jours.

Réalisateur : Rebecca Hall. Acteurs : Rebecca Hall, Tessa Thompson, Alexander Skarsgård, Bill Camp, Ruth Negga. Genre : Drame, Thriller, Mélodrame, Noir et blanc, Drame social. Nationalité : Américain. Distributeur : Netflix. Durée : 1h40mn. Titre original : Passing. Date de sortie sur Netflix: 10 novembre 2021

Article précédent[L’instant chaos] Isabelle Huppert filmée par Harmony Korine au défilé Balenciaga 2022
Article suivant« Massacre à la tronçonneuse » en jeu vidéo, ça arrive

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici