Des films qu’ils sont queer et qu’ils sont chaos. Voici une sélection d’objets connus comme moins, parfaits pour accompagner cette nouvelle édition Chéries-Chéris.

Distracted Blueberry de Barry Doupé (2020)
Pour être tout à fait honnête, Distracted Blueberry s’absorbe davantage comme un acide, ou plutôt comme le trip de trop. Celui qui vous dissuade d’avoir à nouveau recours aux hallucinogènes tant que vous n’aurez pas effectué un check-up psychiatrique visant à établir si votre schizophrénie latente n’est pas tout compte fait passée en force. Ici, le réalisateur Barry Doupé reproduit ce sentiment où initialement tout semble coloré et rigolo – au départ seulement. On réalise alors que Distracted Blueberry va en fait durer, looongtemps. S’élaborer, se déconstruire et vous rendre irrémédiablement fou. Dans un ressac de bouffées délirantes, des personnages animés et leurs environnements à l’esthétique PS2 se disloquent et se reforment, en circulant sur une thématique globale sexe gay/mort violente. Une rengaine compulsive qui envoie gicler son sperme noir dans nos yeux apeurés. On le comprend en voyant l’un des premiers tableaux mettant en scène des grindr guys tous identiques aux expressions faciales ahuries, n’en finissant pas de se tirer sur la tige sans, semble-t-il, parvenir à jouir de façon satisfaisante. Le mouvement perpétuel de la baise hypertrophiée se retourne comme un gant à fist pour révéler sa dimension scatologique, interminable, insatiable, infernale. Barry Doupé pourrait ainsi trouver sa place parmi les dissidents anti-gays, qui comme Mark Simpson ou David Hoyle, n’hésitent pas à pousser à fond tout ce qu’il y a d’atroce dans le gay way of lust. Fin 80, Leo Bersani posait la question: «Is the Rectum a Grave?», avec ses 120 Journées de Second Life, Doupé semble affirmer: «It’s a grave within a grave within a grave…» Distracted Blueberry s’appréhende comme un panorama apocalyptique sur un no future proche où l’on se débarrasserait de nos corps au profit d’une fusion collective de nos sex-death-drive. L’artiste au miroir le dit aux alentours de la cent-soixante-dixième minute: «Il n’y a rien à voir, et vous le voyez».

Permanent Green Light de Zac Farley & Dennis Cooper (2018)
À la suite d’une chute à vélo où il se brise le crâne, Roman perd le contrôle de ses muscles, mais aussi d’une partie de ce qui faisait qu’il était «lui». Ceux qui le connaissaient avant l’accident ne le reconnaissent pas, ou préfèrent l’oublier, il inquiète et il y a de quoi. Roman est passionné, obnubilé, habité par une idée fixe: se faire exploser. Mais attention, son acte n’est en aucun cas motivé par une idéologie, qu’elle soit politique, religieuse, ou simplement suicidaire. Roman veut seulement disparaître, complètement. «BLAAAAM» puis rien. Le film de Farley/Cooper tourne ainsi continuellement autour de cette quête d’un effacement total. Les adolescents qui croisent la route de cet épouvantail au visage de poupon ahuri s’avèrent tout aussi bizarres que lui. Un garçon perpétuellement frigorifié à cause du sang d’alligator qui coule dans ses veines, une fille qui collectionne les ceintures d’explosifs et son pote qui stocke des piñatas et médite longuement avant de savoir si oui ou non il doit les éclater. Exploser ou ne pas exploser? Les gosses de Permanent Green Light ne semblent avoir que cette question en tête. Et quand bien même l’irréalité domine, on ne peut pas ne pas penser à notre génération post 11 Septembre, post 13 Novembre, post sentiment de sécurité, post espoir. Le concept de terrorisme, tout comme la volonté de disparaître de Roman, se trouvent vidés de toute justification psycho-sociale. Les choses n’ont pas besoin d’avoir d’explication, un peu comme le geste des gens qui se donnent la mort sans laisser de lettre derrière eux. Tout le monde se sentira mal à l’aise, car l’intégralité du film sonne faux et c’est justement tout l’intérêt du truc. Donner aux gens ce qu’ils ne veulent pas. Le spectateur devra effectuer un travail de décodage de ce langage sans conviction, pour percevoir ce qu’il dit de vrai par rapport à sa langue à lui.

Narcissister Organ Player de Narcissister (2018)
Certains reconnaîtront ce corps de gymnaste surmonté d’une tête de mannequin de vitrine pour des raisons plus ou moins reluisantes; un passage à America’s Got Talent et quelques défilés sur tapis rouge où elle tenait le bras de Marilyn Manson. Des soubresauts médiatiques marquants qui ne rendent pas au centième le talent de cette femme. Dans une logique qui répond au nom de scène qu’elle s’est choisie, Narcissister ne parle ici que d’elle: de son travail de performeuse hors norme et de ses questionnements identitaires. Née d’une mère juive séfarade d’origine marocaine et d’un père afro-américain, elle raconte à visage couvert comment sa pratique artistique lui permet de reformuler et comprendre ses blessures intimes. Aussi drôles qu’intelligentes, chacune de ses prestations démontre une imagination folle, combinée à une maîtrise chorégraphique millimétrée. Qui dit narcissisme dit problème d’altérité. Narcissister dévoile la relation dévorante qu’elle entretien avec sa mère/soeur, et l’importance que celle-ci a joué dans l’évolution des mises en scènes transformistes dont elle a le secret.

Sauvage de Camille Vidal-Naquet (2018)

Tu es beau
Et tu es seul
Tu es beau
Et tu es seul

Contracte tes muscles
Serre les dents
Sois dur
DUR

Gay for pay
Pay for love
Body to body
Job to job

Il doit bien y avoir un peu de la chaleur quelque part
Dans les bras d’un mec, d’un vieux ou d’une femme
Dans la brûlure de tes poumons qui se dissolvent
Dans la lame du couteau que tu laisses te tuer

Tu es quelqu’un de bien, juste assez con
Pour vouloir qu’on l’aime
Il n’y a pas d’amour
Seulement des preuves d’amour

Fais le entrer
Fais le sortir
Fais le entrer
Fais le sortir

Les coups de poings dans la gueule
C’est parfois les seules preuves d’amour qu’on nous accorde
He hit me, and it felt like a kiss
Comme chantaient les Crystals

Toi le crystal tu connais mieux lorsqu’il se consume dans ta pipe
Et les pipes tu les enchaînes, pour te payer un peu plus de dope
Avoir un peu moins froid

Pourtant même lorsque tu craches du sang, tu rayonnes
Tu es beau parce que tu es seul
Tu es beau parce que tu préfères vendre ton cul plutôt que ton âme

Love is distraction
Love is destruction

Nothing is free

La Région Sauvage de Amat Escalante (2017)
Un non-film de cul perché loin loin, dans une forêt mystérieuse envahie par la brume et dans laquelle réside un obscur objet du désir. C’est comme si les relents gothiques d’Antichrist croisaient les relents gothiques de Possession, mais avec une touche latino singulière permettant de rendre le tableau plus, hum. Festif? Les évènements deviennent peu à peu incontrôlables et lovecraftiens, jusqu’à ce que l’on nous dévoile l’un des monstres les plus phalliquement terrifiant qu’on ait pu voir depuis… Ben, euh, Possession. Mentionnons aussi la présence d’une scène d’orgie animale inter-espèces total chaos from outer space.

Sauna the Dead: A Fairy Tale de Tom Frederic (2016)
L’amour est mort et il a grave la dalle. Un mec sexy dans un genre basique – physique néo-classique de gym rat post-hitlerjugend – se ballade dans un sauna où il vaut mieux venir avec du lubrifiant et se la joue Ebenezer Scrooge du cul en envoyant promener tous ses prétendants. Puis, comme c’est de coutume dans les saunas gay, tout le monde commence à s’entredévorer. Toujours plus charnel, toujours plus consommateur, toujours plus semblable à tous les autres. Le zombie s’avère incarner l’aboutissement logique du clone gay. La romance est-elle possible après l’uberisation de la baise? En tous cas Tom Frederic veut y croire et c’est plutôt gentil de sa part.

Les Îles de Yann Gonzalez (2017)
Tout ce qu’une chambre peut renfermer d’intime, d’érotique, de frustrant. Des amoureux extatiques, un monstre en mal d’amour, des visions peut-être réelles – mais on s’en moque –, qui se meuvent dans une douce ambiance lysergique pour infiltrer nos synapses avec délice. Ça chope, ça pense à la fin, ça se dit des mots scabreux et émouvants dans des jardins peuplés de garçons aux pénis dressés. Suspiria meets Genet.

Diablo in Madrid de Bruce LaBruce (2017)
Premier d’une série de quatre courts prévus pour le site Cocky Boys – penser à racheter des Kleenex – Diablo In Madrid est fidèle au style «in your face» de l’auteur canadien, avec des séquences blasphématoires où le héros antichrist crache et pisse sur des tombes avant de se branler joyeusement autour des familles endeuillées. À une époque où il est difficile d’être choqué, LaBruce ranime la petite vieille outrée qui hoquette des «m’enfin, mais où va-t-on!» en chacun de nous. Et avouez que vous aimez qu’on saccage ce qui reste de dignité à notre civilisation, bande de pervers polymorphes.
NB: Diablo in Madrid est à rattacher à un tout nouveau genre de porno conceptualisé par notre chouchou: le Hate Porn.
Is this the real life? Is this just fantasy?

The Misandrists de Bruce LaBruce (2017)
Puisque l’auteur de ces lignes met toujours en avant l’objectivité et refuse de prendre parti dans le conflit assimilationnisme/résistance, il est de bon ton d’évoquer pour la troisième fois Bruce LaBruce. Où sont les femmes? Dans The Misandrists, pardi! L’autre variation d’après Les Proies de Don Siegel, étrangement moins médiatisée que celle de miss Coppola. Serais-ce à cause de la thématique féministe-transgenre? De la mise en avant de la rhétorique d’ultra-gauche terrorist friendly? Ou bien de la séquence donnant à voir une réassignation de sexe forcée en gros plan? Allez savoir.

Les Garçons Sauvages de Bertrand Mandico (2017)
Voyage à bord d’un bateau ivre en compagnie de matelots qui descendent des droogies d’Orange Mécanique. Comme d’habitude chez Mandico, c’est la fête des apparitions oniriques déstabilisantes, tout semble organique, sexuel, repoussant, même les plantes et la nourriture. C’est beau et gluant, ça se mange sans faim.

Call Me a Ghost (2017) et The End (2018) de Noël Alejandro
Un revamping de l’artporn est-il envisageable? Va-t-on réhabiliter la sensibilité poétique à l’âge des hastags dont on n’ose prononcer le nom? On pourrait le penser en regardant ces deux jolis courts de Noël Alejandro featuring Pierre Emö. D’abord dans le rôle d’un very friendly ghost sortit d’une revue porno des seventies, pour donner un coup de main à un bel inconnu mélancolique au clair de lune. Ensuite en alcoolique délaissé, qui reçoit la visite d’une faucheuse plutôt bien gaulée le temps de ce qui ressemble à un dernier câlin, étrangement plus chaleureux qu’on ne s’y attendrait. Il va sans dire que ce type de films mêlant recherche esthétique et sexualité explicite est difficilement classable à une époque où on aime mettre une étiquette sur absolument tout. À tel point qu’en suivant l’exemple de LaBruce, nous pourrions chercher à concevoir un nouveau terme visant à définir cette variante romantique du porno: Emo Porn? Baudelairian Porn? Edgar Alan Porn? Merci d’envoyer vos suggestions à la rédaction qui se fera un plaisir de les lire, d’en faire un best of, des t-shirts et des portes clés.

À ton âge le chagrin c’est vite passé de Alexis Langlois (2017)
Alexis Langlois chante la rupture amoureuse et en rimes dans cette comédie musicale qui donne à voir une ado dans le mal que ses copines tentent de sortir du fossé sentimental où elle se trouve, en trashant son crush sur messenger. Un exemple remarquable de la marche à suivre si vous souhaitez remonter le moral d’une amie prisonnière de l’auto-flagellation émotionnelle. La mise en scène est ici over queer, puisque chacun des personnages joue deux rôles, masculin et féminin. Ce qui permet parallèlement d’exploiter les acteurs deux fois plus et de faire exploser les catégories genrées. Prend ça Christine Boutin. Si les séquences d’envoi de textos ultraviolents ou les passages rap de téci à base d’insultes venues de l’hyperespace ne vous font pas rire, c’est que vous êtes mort ou sarkozyste.

Queercore : How to Punk a Revolution de Yony Leyser (2017)
Documentaire revenant sur une sous culture qu’il serait peut-être temps de réactiver including John Waters, Kim Gordon, Bruce LaBruce – again and again – Kathleen Hanna, Dennis Cooper, Genesis P-Orridge, Peaches, Hole, Justin Bond et ça continue…

Like Cattle Towards Glow de Zac Farley & Dennis Cooper (2015)
Le simple fait que Dennis Cooper ait co-réalisé ce film devrait suffire à en faire une œuvre chaos. L’auteur américain based in Paris ayant écrit des livres au sujet de prostitués toxicos plus ou moins majeurs qui écoutent Swans et font la rencontre de meurtriers en puissance, s’avère en effet plus qu’affilié au concept de transgression. Cooper est un peu à la littérature ce que Gregg Araki est au cinéma – du moins jusqu’à Nowhere –, ce dernier le mentionne d’ailleurs carrément dans Totally Fucked Up (si, si, la famille). Le film, reprend la structure en cinq segments d’un porno, tout en y greffant les éléments narratifs violents et désespérés des textes de l’écrivain. Du pas vraiment porno, cérébral, froid et analytique. Dépression, obsession, confusion. Let’s go.

Crazy House de Aaron Mirkin (2015)
Adaptation du texte d’un certain Lonely Christopher – joie de vivre tut tut bip bip – on y retrouve le trop mignon Connor Jessup, remarqué à raison pour son interprétation d’un jeune homme pas au top dans Closet Monster. Jessup est à nouveau tourmenté dans ce court métrage où la santé mentale de son personnage se détériore sérieusement après le suicide d’un ami dont il se sent responsable. La teen angst a de nouveaux moyens de communication mais certainement pas plus de communicabilité. Aaron Mirkin s’adresse à la génération zolpidem et fait ça bien. Let’s make our parents frightened again.

The Ballad of Genesis and Lady Jaye de Marie Losier (2011)
Quand on s’aperçoit qu’une bonne partie de la communauté gay célèbre Beyoncé, une mère de famille qui veut qu’on lui put a ring on it, alors que pendant plus de quarante ans, Genesis P-Orridge a œuvré pour démolir les frontières sociales, sexuelles et artistiques dans une semi-ombre médiatique, on se dit qu’un truc a dû foirer quelque part. Mais Marie Losier a compris qu’il y avait là un sujet et un être d’un intérêt conséquent pour toute personne souhaitant s’affranchir des normes. Cette ballade condense une biographie accélérée et une histoire d’amour fusionnelle au sens premier du terme. Car Genesis et Lady Jaye subissent des opérations chirurgicales visant à remodeler leurs corps à partir des fragments de leur moitié et parvenir à invoquer un troisième être issu de cette technique de remontage du moi, le pandrogyne. Vous aimeriez savoir ce que signifie tout ce charabia impossible à résumer en dix lignes? Eh bien ça vous donne une raison d’aller voir ce film, qui plus est, ça vous fera un sujet de conversation sympa pendant vos réunions Tupperware, après vos sorties à la piscine ou n’importe laquelle de vos activités de déviants irrécupérables.

The Divine David Presents de David Hoyle pour World of Wonder Productions (2013)
Que serait-il advenu si Liza Minnelli avait passé ces dernières années assise dans un hangar abandonné à tirer sur une pipe de crystal meth? Quelque chose de merveilleux. Détendez-vous, ouvrez vos yeux et vos oreilles et écoutez le divin David Hoyle vous parler de l’absence de sens du vingt-et-unième siècle, de son endroit favori pour faire des promenades méditatives – un canal où des jeunes gens se font éviscérer – et d’expériences sexuelles précoces avec le père Noël. Isn’t it beautiful? It’s almost avant-garde.

Hoist de Matthew Barney (2006)
Rarement un film aura autant prêté attention à mettre en forme le rapport érotique entre la chair, la nature et la technologie. Hoist se place dans la trajectoire des déviations biomécaniques de Crash ou The Sex Garage, mais en plus écolo et moins nihiliste. On peut également y constater les dommages irrémédiables occasionnés au cerveau de Barney suite au fait d’avoir entretenu une relation suivie avec Björk. Le réalisateur-athlète olympique-plasticien s’approche avec ce court de quelque chose qui s’apparente à l’origine du désir. Quelque chose d’informe et poisseux, d’humanoïdo-végétal. Vous serez excités par ce que vous verrez et vous ne comprendrez pas pourquoi. Hmmmmmm.

Les Funérailles des roses de Toshio Matsumoto (1969)
Vous êtes-vous déjà demandé à quoi pouvait ressembler la scène homo et contre-culturelle de Tokyo à la fin des années 60? Tant pis, Les Funérailles des roses répondra quand même à cette question et bien plus, à travers une cavalcade d’images somptueusement glamour, fun et touchantes, où des nippons en minijupes font de l’acting un mode d’existence. Pour son premier long, Toshio Matsumoto réutilise les techniques de ses courts-métrages expérimentaux. Recours aux images fixes, bandeaux de textes adressés au spectateur, discontinuité et répétition de mêmes scènes, il dynamite joyeusement les codes du cinéma et de la société japonaise en faisant rimer érotisme avec terrorisme. Les Funérailles des roses est dans la lignée des films contestataires de la nouvelle vague avec sa représentation d’une génération anti-autoritaire et parricide qui met sur le même plan la forme et le fond. La figure de ce père absent dont Eddie garde une photo soigneusement défigurée, comme pour se rappeler les blessures qui ne cicatriseront jamais. De nouvelles déchirures viendront s’ajouter aux premières lors du moment fatidique où elle découvrira qu’en fuyant son passé désastreux, elle est en fait tombée dans les bras du père qu’elle a si peu connu qu’elle a été incapable – tout comme lui – de le reconnaître. Œdipe reine, masque tendu vers un soleil qui ne brillera plus jamais, dévisage la foule de ses yeux troués, sous vos applaudissements. G.d.D.

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