Philippe Rouyer, critique: « Le cinéma est une composante essentielle de ma vie »

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QUOI DE PLUS CHAOS QUE PHILIPPE ROUYER? Parce que critique de cinéma supra chaos dans la revue Positif depuis 1985. Parce qu’il enseigne l’analyse de film à l’Université Paris I. Parce qu’il collabore à Psychologies ainsi qu’au Cercle sur Canal+. Parce que Initiation au cinémaou encore Le cinéma gore, une esthétique du sang. Parce qu’on l’appelle aussi « président » dans les jurys critiques et c’est très bien ainsi. Parce que son livre sur Haneke (Haneke par Haneke, entretiens avec Michel Cieutat et Philippe Rouyer, éd. Stock) est un must. Et même qu’il est dispo au Japon!

Comment définiriez-vous votre rapport au cinéma?
Philippe Rouyer: Le cinéma est une composante essentielle de ma vie. Je n’imagine pas me lasser de voir des films tous les jours. Mais voir des films ne me suffit pas. Quand les films me plaisent, ils éveillent en moi le désir irrépressible d’en parler pour partager avec d’autres mon enthousiasme. Les films que j’aime sont pour moi une source d’énergie et d’inspiration. J’aime à penser qu’ils coulent dans mes veines.

Vous souvenez-vous du premier film que vous avez vu ? Si oui, lequel?
La Belle au bois dormant de Disney que j’ai adoré en salles à 6 ans. Action, humour, fantastique et romance. Avec l’idée que le Mal peut être intelligent et séduisant. Et qu’il est ubique (même si à l’époque ce n’est pas ce mot que j’employais). Les nuits suivantes je redoutais (espérais?) que la vénéneuse sorcière Maléfique se matérialise au fond de mon lit!

Quels sont les films qui ont marqué votre parcours de cinéphile par leur intensité, par des séquences précises ou par la simple force des images?
Par ordre d’apparition dans ma vie
20000 lieues sous les mers de Richard Fleischer, premier film de patrimoine découvert en salles et adoré (à 10 ans)
2001 l’odyssée de l’espace le film qui a décidé de ma vocation
Voyage au bout de l’enfer (le mercredi de sa sortie) et le choc de découvrir un film sublime dont on ne savait rien
L’important c’est d’aimer vu en trichant à l’entrée pour me faire passer pour un plus de 18 ans, qui m’a laissé entrevoir une violence et une folie que je n’imaginais pas dans le cinéma d’auteur
Barry Lyndon qui, après 2001, m’a convaincu que Kubrick était un génie
L’Ami américain et l’art de réinventer les mythologies américaines en Europe. Comme l’avait fait avant Wenders. Jean-Pierre Melville dont j’ai toujours autant de plaisir à revoir les polars tragiques
– L’œil coupé d’Un chien andalou
La Porte du Paradis, sujet de mon premier article publié dans la presse professionnelle
Suspiria de Dario Argento et la découverte de la flamboyance de l’horreur
Citizen Kane et La Règle du jeu films mondes dans lesquels j’habite toujours
Notre mariage (1985), premier long métrage de Valeria Sarmiento et sujet de ma première critique publiée dans Positif
Carne de Gaspar Noé que j’ai eu la fierté de sélectionner pour la Semaine de la critique du Festival de Cannes 1991
Funny Games de Michael Haneke découvert en compétition officielle à Cannes et la bataille critique qui s’en est suivie dans et hors ma chère revue Positif
– La fascination pour la construction et les beautés de Mulholland Drive que j’ai finies par explorer dans un documentaire
– Le souffle coupé devant l’inspiration et le lyrisme métaphysique de Valhalla Rising (avant que le distributeur français ne l’intitule Le Guerrier silencieux), véritable clé pour pénétrer dans l’univers abstrait et sensoriel de Nicolas Winding Refn

Un film que vous n’aviez pas envie de voir et qui a été une révélation?
Porco Rosso. C’était le premier dessin animé de Miyazaki distribué dans les salles françaises et les copains qui l’avaient repéré en festival me poussaient à aller aux projections de presse. J’étais très réticent, n’ayant de l’animation japonaise que l’image des séries mal animées entrevues à la télévision. Finalement, je me suis décidé à y aller et ce fut l’extase. Non seulement j’ai été conquis par le graphisme et l’animation, mais j’ai adoré l’inventivité du propos et j’ai été chaviré par sa mélancolie. Au point de supplier mes camarades de Positif de me confier l’article sur le film dans la revue.

Est-ce que, dans votre parcours de cinéphile, il y a eu un «avant» et un «après» un film ?
Oui il y a eu un avant et un après 2001 L’odyssée de l’espace vu dans un cinéma des faubourgs d’Angoulême à 12 ans et demi. Subjugué par ce film que j’avais bien du mal à comprendre, j’ai pris alors la décision de faire un métier qui me permettrait d’étudier à loisir les films et de partager mes enthousiasmes cinématographiques. C’est-à-dire critique de cinéma. Depuis, 2001 est devenu mon film compagnon revu souvent en salles et acheté dans tous les formats vidéo au gré de leurs sorties. Pour avoir la possibilité de le revoir à tout instant la meilleure version disponible sur le marché

En 2050, pensez-vous que l’on fera encore du cinéma?
Oui, bien sûr. Car le cinéma, c’est la vie

Votre dernier coup de cœur?
Midnight Special de Jeff Nichols

QUIZ CHAOS DU CINÉPHILE
Un film : 2001 l’odyssée de l’espace
Une histoire d’amour : La Mouche (Cronenberg)
Un sourire : Sandrine Bonnaire dans À nos amours
Un regard : Robert De Niro dans Taxi Driver
Un acteur : Michel Piccoli
Une actrice : Isabelle Huppert
Un clown triste : Frederic Forrest dans Coup de cœur de Coppola
Un début : Melancholia
Une fin : L’Armée des ombres : la mort de Simone Signoret et les incroyables cartons qui scellent le destin des personnages encore vivants dans la voiture
Un coup de théâtre : Le Limier (Mankiewicz)
Un générique : Vertigo
Une scène clé : la pendaison de Il était une fois dans l’Ouest
Une révélation : Porco Rosso
Un gag : la fin de Docteur Folamour : Peter Sellers se lève de son fauteuil roulant et s’exclame «Mein Führer, je marche!», au moment où se déclenche l’apocalypse atomique
Un fou rire : le cunnilingus de la tête coupée dans Re-Animator
Un film malade : Sur le Globe d’argent (Zulawski)
Un rêve : James Woods rêve qu’il fouette un poste de TV dans Videodrome
Une mort : celle de Lee Marvin dans L’Homme qui tua Liberty Valance qui change de signification lorsque Ford remontre la scène filmée sous un autre angle
Une rencontre d’acteur : Alain Delon dans Le Samouraï
Une scène de cul : La Vie d’Adèle, chapitre 1 et 2
Une réplique: «Fuck!» (le dernier mot en forme d’invitation de Nicole Kidman à la fin d’Eyes Wide Shut)
Un silence : celui du cosmos dans 2001, l’Odyssée de l’espace
Un plan séquence : l’ouverture de La Soif du mal
Un choc : Le Guerrier silencieux de Nicolas Winding Refn
Un artiste sous-estimé : Serge Gainsbourg cinéaste
Un traumatisme : la découverte de la séduction du Mal en regardant La Belle au bois dormant
Un gâchis : Jean-Claude Brisseau qui ne tourne presque plus
Un souvenir de cinéma qui hante : l’étrange sensation d’avoir eu l’impression de vivre la mort de la comédie italienne et la fin de mon enfance en regardant La Terrasse de Scola à sa sortie
Un film français : Vincent, François, Paul et les autres
Un réalisateur : Gaspar Noé
Allez, un second : Bruno Dumont
Un fantasme : voir la version tournée en anglais des Demoiselles de Rochefort par Jacques Demy. Fantasme réalisable puisque les bobines existent, je les ai vues (dans leurs boîtes)
Un baiser : Cary Grant/Eva Marie-Saint dans le train de La Mort aux trousses
Une bande son : Phantom of the Paradise
Une chanson pour le cinéma (et qui n’apparait dans aucun film) : Toutes les chansons que j’aime figurent dans au moins un film. Y compris Au clair de la lune, qui me fait monter les larmes aux yeux lorsqu’elle est entonnée par HAL qui se vide de sa mémoire dans la VF de 2001.
Une chanson de cinéma (et qui n’a jamais été mieux qu’au cinéma) : Porque te vas
Un somnifère : l’intégrale Jean-Marie Straub
Un frisson : It Follows
Un monstre : Leatherface (et son regard d’enfant perdu sous son masque de peau)
Un torrent de larmes : L’Incompris de Luigi Comencini
Un flash-back : 2046 (Wong Kar-wai)
Un flash-forward : Stavisky… (Resnais)

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