[STÉPHANE DU MESNILDOT] Rose sorcière

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[BERTRAND MANDICO] Stéphane du Mesnildot, journaliste aux Cahiers du Cinéma, parle du cinéma-sorcier du réalisateur de Ultra Pulpe.

« C’est le clap de fin du tournage d’Apocalypse After de Joy D’Amato, la cinéaste la plus mal aimée de sa génération. Pour ne pas perdre l’actrice dont elle est amoureuse, Joy commence immédiatement un autre film, sans scénario, en impro folle dans les décors à l’abandon. C’est Joy D’Amato mais ce pourrait être Jessie Franco, un de ces cinéastes du chaos qui détruisent leur œuvre au fur et à mesure qu’ils la poursuivent, la laissent ouverte aux quatre vents et en font un champ de bataille amoureux. Comédiens, maquilleurs et doublures sont piégés dans un after sans fin, dans ce studio où tout se dérègle et semble pris dans une entropie accélérée. Quelle série Z se déroulait à l’origine dans cette station balnéaire de fin du monde, ce désert irradié, ce labyrinthe de backrooms ou sur cette planète des vampires? Peut-être le même film, éternellement rejoué, de la perte d’un amour. Dans la nuit galactique qui entoure le studio flotte une couleur particulière que l’on croyait perdue depuis le début des années 80: un rose tirant sur le violet. On se souvient l’avoir vue dans les voiles de la sorcière d’Inferno de Dario Argento; nimbant le visage de Barbara Sukowa dans Lola de Fassbinder; dans le gaz des néons des pornos de Stephen Sayadian; dans ces vieux vidéoclips de Billy Idol dont tous les titres rappellent Ultra Pulpe: Chair pour le fantasme, Les Yeux sans visage, Danse avec moi-même… Ce rose-violet à la fois magma, brume, lumière et liquide est une substance trans et magique. Deux filles pensent fuir le tournage maudit mais c’est encore un trucage qui fait avancer leur voiture et le bush qu’elles traversent n’est qu’un décor. Devant elles se dresse une géante au corps marron et grumeleux. La créature n’a pas de visage mais un cratère éclairé de rose comme si la lumière venait des profondeurs caverneuses de son corps. Dans les éclairs et les vomissements, une autre femme lisse et humide, s’extirpe du corps volcanique comme si elle naissait, déjà adulte, des entrailles de pierres roses de l’idole préhistorique. Ce rose des origines où se forment les corps de la fiction, rappelle celui que projette l’aérographe érogène de Richard Corben. Echoué sur la planète Ultra Pulpe, on retrouve une de ses créatures, Den qui aurait achevé une ultime métamorphose en colosse hermaphrodite. Une jeune fille en extase embrasse son visage constellé de cristaux, irrésistibles comme les bonbons acidulés que les inconnus offrent aux enfants. Le rose est une couleur interdite. » S.d.M.

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