[PHOTOMATON] ÉTIENNE DUBAILLE

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La rubrique PHOTOMATON met en lumière ceux qui font le cinéma. Onzième invité: ÉTIENNE DUBAILLE

Quelle est votre profession?
Je suis distributeur de films indiens en France, sous le label « Night ED Films ».

Quel est votre parcours?
Comptable de formation, j’ai passé 12 ans dans les services financiers de Canal+ puis, 9 ans dans la société d’Alain Chabat et trois ans chez LGM FILMS. Mais j’avais toujours au fond de moi cette envie de partager le « cinéma indien » que je connais (parce qu’il n’y a pas un seul cinéma indien) avec le public français.

Sur quoi travaillez-vous actuellement?
Difficile à dire… Sur tout et rien à la fois. Je m’explique: l’industrie cinématographique indienne n’est pas habituée aux méthodes de travail européen ou américain. Elle a ses propres us et coutumes. Pour un œil occidental, cela peut paraître complètement désorganisé. Je peux très bien courtiser un producteur pendant 6 mois, l’aider dans certaines choses, sortir certains de ces films sans intérêt, juste pour avoir accès au film que je vise et, qu’il est en train de produire, ou qu’il va distribuer. Et parfois, à une semaine ou même la veille de la sortie du film, l’œuvre tant désirée peut atterrir chez un concurrent… Heureusement cela n’arrive pas tous les jours mais c’est un paramètre que je garde toujours en tête, comme une Épée de Damoclès. Mais cela peut aussi marcher dans l’autre sens… C’est à dire que bien longtemps après avoir abandonné les discussions sur un film pour moult raisons, le producteur peut subitement revenir vers moi pour clore la vente. C’est arrivé aussi. Plus concrètement, je travaille sur la distribution d’une docu-fiction sur les soldats indiens qui ont combattu en France, pendant la Première Guerre Mondiale. C’était le chaos total, une page oubliée de l’Histoire de France.

Quel est le film et/ou le cinéaste qui vous a donné envie de faire ce métier?
Alors là, ça ne va pas du tout vous parler mais, j’ai commencé à aimer le cinéma en regardant les films de deux monstres du cinéma tamoul (sud de l’Inde) : MGR et SIVAJI. Mais c’était des demi-dieux inacessibles pour mes petits yeux d’enfants. Plus tard, j’avais découvert deux autres comédiens tamouls: Kamal Haasan et Rajni Kanth. Pour moi, ce sont les Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, en puissance 10, du cinéma tamoul. Pour le coup, c’était de jeunes comédiens dans le vent, qui s’habillaient comme nous, qui parlaient comme nous et, on pouvait facilement s’identifier à eux. Mon envie de faire comme eux a vraiment germé à ce moment là. Mais je ne me suis jamais vraiment donné les moyens de me lancer dans le cinéma. Puis avec le temps et, les contraintes de la vie, mes rêves se sont transformés pour aller vers d’autres cieux, comme la distribution. Mais l’idée de jouer dans un film ou, un jour, de réaliser mon propre film me berce toujours.

Quel est votre meilleur souvenir professionnel?
J’en ai plusieurs et j’aurai du mal à faire un classement. Mais je vais vous raconter l’un des plus récents. Kamal Haasan est une grande star du cinéma tamoul qui a marqué de son empreinte, le cinéma indien dans sa globalité. C’était mon idole, l’idole de toute une jeunesse indienne, l’équivalent d’un James Dean, toujours à la puissance 10. J’avais toujours une très forte envie de le rencontrer, au fond de moi. Mais il y avait un tel fossé entre son statut de STAR adulée, vénérée et ma simple personne… En décembre dernier, un très gros producteur de Madras m’appelle et me dit mot pour mot: « M. Kamal Haasan fera un séjour de 3 jours à Paris. On a beaucoup de monde en France, des gens « blindés », plein aux as qui peuvent venir le chercher en Rolls… blablabla… Mais, c’est à toi que l’on fait confiance. Tu dois t’occuper de lui pendant ces 3 jours… Discrétion absolue... » J’ai cru que c’était un rêve et mon cœur battait à 300 à l’heure… Je frôlais la syncope! En même temps, j’avais un énorme doute jusqu’au moment où Kamal Haasan lui même m’avait appelé sur mon portable et, m’avait parlé de sa voix rocailleuse et unique… Vous vous rendez compte? Du jour au lendemain, je me retrouve en tête à tête avec mon idole, on se prend un café par ci, un café par là, on discute de tout et de rien… Là, je me suis dit que parfois, il suffit juste de vouloir les choses du fond du cœur et d’attendre. Si on le mérite, ça arrivera… Ça peut paraître très réducteur et simpliste comme philosophie mais j’ai eu beaucoup de choses comme cela. Enfin, je crois… Mon entourage me dira que c’est parce que j’ai travaillé pour cela et que c’est le juste retour des choses. A chacun son truc…

Quel est votre pire souvenir professionnel?
Le pire, je ne vais pas en parler… J’avais réussi à décrocher en distribution le film le plus cher du cinéma indien: Bahubali, un péplum qui avait fait des ravages au box-office, en Inde et à l’international, en 2015. Tout était prêt et 2 jours avant la sortie française, le représentant du producteur m’avait appelé pour m’annoncer que la sortie était annulée… Le producteur voulait remonter le film pour coller aux standards internationaux et le ressortir plus tard. C’est mon pire souvenir et c’est aussi la plus belle erreur faite par ce producteur. Le film est sorti un an plus tard en France avec le formidable effet d’un pétard mouillé ou d’un ballon rempli d’eau qui s’éclate au sol.

Citez-moi quelqu’un de bien/pro/formidable dans ce métier si cruel?
J’ai croisé beaucoup de gens formidables qui m’ont appris beaucoup de choses… Pas que du métier, même des choses de la vie… Je n’arrive pas à citer une personne en particulier.

Ce que vous avez fait de plus chaos depuis que vous faites ce métier?
Le chaos est omniprésent… A chaque sortie de film, c’est le chaos :
– jusqu’à la signature du contrat,
– jusqu’à la réception des fichiers des sous-titres en anglais, que je dois traduire et adapter en français sans avoir l’image. Cela représente 30 à 40 heures de boulots dans des délais ultras serrés,
– jusqu’à la réception du film,
– jusqu’à la réception des KDM (codes qui permettent la lecture d’un film)
– jusqu’au test de ces codes par les projectionnistes… Les codes étant fabriqués en Inde, je ne vous explique pas le stress… Le matériel arrivant très tardivement, les projectionnistes n’ont pas le temps de faire les tests en amont, et souvent, les spectateurs sont déjà dans la salle et, je suis toujours en ligne avec la hotline du labo indien pour la génération de nouvelles KDM compatibles avec les serveurs du cinéma.
– jusqu’à la première séance pour savoir si c’est bien la bonne version des sous-titres qui a été intégré. Et là, c’est le coup de grâce quand on découvre que c’est la mauvaise version, une version néerlandaise ou carrément la version du Google trad local…

A quel film ressemblera le monde de demain?
Aucune idée mais, encore un rêve impossible du fond du cœur, j’aimerais bien que le monde de demain ressemble au Château de Ma Mère… Si je le mérite, ça arrivera. Wait and see!

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