[PHILOSOPHY OF A KNIFE] Andrey Iskanov, 2008

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Aussi dérangeant qu’indigeste, un bloc de quatre heures sur le camp 731 qui ne laisse pas l’esprit tranquille.

Philosophy of a knife raconte pendant quatre longues heures ce qui s’est passé dans l’unité 731 (1932-1945), ce camp japonais dont l’objectif premier était de fabriquer une arme bactériologique de destruction massive dans la guerre qui opposait les japonais aux russes (et accessoirement rattraper leur retard dans le domaine spatial et scientifique). Un lieu en théorie consacré « à la prévention des épidémies et la purification de l’eau », mais qui au final n’était destiné qu’à faire des expériences inqualifiables sur des prisonniers de guerre devenus cobayes, sans la moindre pertinence médicale ou scientifique. Et pendant quatre longues heures, c’est de la non-assistance à personne en danger.

Impossible à aimer, mais impossible à oublier. Parce qu’il prend le parti de montrer toutes les abominations explicitement (soit au moment où le gouvernement japonais demande à au médecin militaire Ishii Shiro de prendre le contrôle des opérations) tout en apportant le témoignage d’Anatoliy Protasov (un traducteur militaire ayant participé au procès des docteurs japonais du camp à Khaborovsk en URSS) en guise de contrepoint/caution rhétorique, Philosophy of a knife, d’Andrey Iskanov, se révèle aussi dérangeant qu’indigeste. Ce qu’il montre donne des hauts-le-coeur, ce qu’il raconte glace l’échine. Et c’est surtout aussi virtuose (les effets spéciaux sont réellement sidérants) que louche dans sa facture, dans ses intentions, dans son attitude vis-à-vis du spectateur, les yeux en spirale, ne sachant plus quelle heure il est ou quel temps il fait dehors. En fait, ce qui déroute ici, c’est l’ambition démente de ce très long film qui veut absolument aller au-delà du simple « film de genre » pour festivals afin d’étayer une argumentation implacable, sur la barbarie (la sempiternelle dégradation de l’homme par l’homme).

Oui, tout est « oui mais » dans Philosophy of knife et c’est ce qui nous empêche de dormir tranquille: c’est dur à regarder mais on s’accroche, on reste jusqu’au bout parce qu’on a impérieusement besoin de la lumière au bout du tunnel. Arrêter le film en plein milieu, en gardant les images de ce cauchemar, serait une erreur, le meilleur moyen pour que ce que l’on a subi nous poursuive longtemps. Alors on reste, même si tout est fait pour vous dégoûter de l’humanité; ce qui a hâtivement incité certains goreux à assimiler Philosophy of a knife à la référence absolue question torture vomitive, le Salo de Pasolini. Pourtant, il ne fonctionne pas sur les mêmes ambivalences, sur les mêmes ambiguïtés, sur les mêmes zones troubles. Ce film-là crache tout façon jeyser, en un long bloc et si ça ne vous convient pas, il ne fallait pas venir. Il fallait savoir où l’on mettait les pieds, donc chez le réalisateur des déjà dérangeants Nails et Visions of suffering.

Beaucoup de rumeurs autour du film, bien entendu, comme pour A Serbian Film en son temps. Le réalisateur Iskanov a assuré le service après-vente comme un grand, avouant avoir subi des pressions au moment du tournage, se disant victime de menaces constantes (le KGB l’aurait selon certaines rumeurs passé à la question). On veut bien le croire mais le film est si suffisamment fort pour se passer du moindre argument marketeux. L’horreur mise en scène! C’est si exorbitant que l’on peine à croire en sa véracité mais, il faut le rappeler, c’est moche et mal une histoire vraie, un vrai sujet tabou ayant déjà servi de matière à un autre film tout aussi éprouvant et non moins discutable dans son traitement: Camp 731 (Men behind the sun), de Mou Tun Fei (1987). Reste, et c’est pour cela qu’on en parle plus de dix ans après, sa force. Sa capacité à traumatiser durablement question déshumanisation, à toucher universellement (difficile de ne pas penser aux expériences des médecins nazis dans les camps de la mort européens), à poser de vraies bonnes questions de cinéma (que montrer pour qu’un message passe?) et à inciter le spectateur à se forger un regard critique sur ce qu’on lui impose, à se renseigner, via google, ou via des livres pourquoi pas, sur cette boucherie clandestinement organisée par l’armée d’occupation japonaise dès le début de la seconde guerre sino-japonaise.

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