[ALEXANDRE AJA] On a parlé Hollywood, cinéma de genre en France et Netflix avec le réalisateur de « Oxygène »

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Près de 20 ans après le culte Haute Tension, Alexandre Aja revient avec un film en langue française, Oxygène produit par Netflix, avec Mélanie Laurent dans le rôle principal. L’occasion pour nous de s’entretenir avec un réalisateur français ayant construit une carrière plus qu’honorable dans le cinéma d’horreur à Hollywood. La Colline à des yeux, Piranha 3D ou Crawl, toutes ces productions n’auraient pas pu voir le jour si son auteur était resté en France au lendemain du succès de Haute Tension qui l’a consacré à l’international. Rencontre.

C’est votre premier film en langue française depuis Haute Tension, il y a presque 20 ans. L’idée de revenir faire un film en France trottait-elle dans votre tête depuis longtemps et ne s’accompagnait-elle pas d’une pression? 
Alexandre Aja: La pression principale reposait sur le fait de ne pas tomber dans le «Jean-Claude Van Damme» [il rit]. C’est-à-dire, de ne pas trouver les bons mots. Même Haute Tension, qui est un film en langue française, a été tourné à Bucarest en Roumanie, où l’on parlait principalement en anglais. Avec Oxygène, c’était donc en quelque sorte la première fois que je me retrouvais à communiquer avec une équipe entièrement française. Dans le feu de l’action, je dois avouer qu’il m’est arrivé de perdre mon vocabulaire… Je n’ai jamais arrêté de chercher des projets en France. Il y a eu quelques opportunités, et j’ai été proche de conclure un projet. Je ne me suis jamais dit que j’arrêterai de tourner des œuvres en français. Ce sont plutôt les scénarios qui justifient l’emploi de la langue. Le reste n’est pas très important.

Derrière le récit type survival en huis-clos extrême à la Buried, Oxygène raconte la fin d’un monde en proie à une pandémie, et la quête du monde d’après. De plus, le besoin urgent d’oxygène de Liz, littéralement confinée dans une boîte, rappelle ce nous vivons depuis plus d’un an. Dans quelle mesure la crise mondiale du Covid a-t-elle eu un impact sur votre film?
Tout a commencé avec ce script, écrit il y a quelques années par Christie LeBlanc. Il faisait partie de la «blacklist», recensant les scénarios les plus prometteurs n’ayant pas encore été adaptés. Déjà à l’époque, la pandémie et la fin du monde faisaient partie du script. Lorsque je l’ai découvert, j’ai toute suite pensé à Buried, un film que j’adore et qui est le genre d’œuvre que j’aurais aimé réaliser. Mais Oxygène va dans une autre direction, presque plus existentielle. On pensait au départ faire le film d’une autre manière, en langue anglaise. Je devais d’ailleurs initialement produire Oxygène, car j’étais censé réaliser un autre film. Puis, avec le Covid, les évènements ont pris une autre tournure, mon tournage s’est arrêté et je suis rentré en France pour me confiner. Oxygène a pris alors une nouvelle ampleur, avec une résonnance vis-à-vis de ce qu’on était en train de vivre. Le compte à rebours dans le film, le fait que Liz soit enfermée dans une boîte, tous ces éléments sont devenues des évidences par rapport au ressenti de tous. Réaliser Oxygène était une priorité pour moi et c’est pour cette raison qu’on l’a tourné très rapidement, et en français. Il était essentiel que l’on tourne dès le début du déconfinement. Tout à coup, Oxygène devenait un film sur l’après-Covid, sur ce manque d’oxygène, et sur notre enfermement.

Vous travaillez pour la première fois avec une plateforme de streaming après 6 films tournés à Hollywood. Voyez-vous en Netflix l’opportunité de produire des œuvres qui auraient mis plus de temps à se faire, voire n’aurez jamais vu le jour au sein du système de production classique?
L’arrivée des plateformes de streaming a apporté quelque chose de radicalement différent dans le fait de tourner des films et des séries. Je suis client de Netflix depuis le début, lorsque ce n’était encore qu’un service de location. Je recevais les DVD par enveloppe, puis je les renvoyais. Netflix a réussi, quelque part, à remplacer les vidéoclubs. J’ai ce même plaisir à passer du temps, parfois même trop de temps, à chercher ce que je vais regarder. Netflix est une plateforme fabuleuse, qui dialogue avec tellement de monde à la fois. Il y a 200 millions d’utilisateurs, ce qui fait environ 600 millions de spectateurs. En tant que réalisateur, c’est formidable d’avoir accès à ce marché-là. Pendant très longtemps, quand on voulait faire des films qui pouvaient voyager et être vus à travers le monde, il fallait en général travailler en anglais. Netflix et les autres plateformes ont changé la donne. On peut espérer qu’un film français comme Oxygène puisse être vu dans tous les pays. Le film a d’ailleurs quelque chose d’universel dans son propos qui pourra dialoguer avec des spectateurs brésiliens, russes ou anglais. J’espère que les plateformes vont permettre à d’autres talents de s’exprimer et ainsi offrir une plus grande diversité de cinémas.

Je parlais tout à l’heure de «monde d’après». Est-ce que pour vous le «monde d’après» du cinéma se nomme Netflix, Prime Video ou Disney +, ou bien vous pensez que les plateformes de streaming seront concomitantes aux projections en salles?
Aux Etats-Unis, il y a quelques années de cela, une transition avait déjà eu lieu avec l’émergence d’une organisation entre les films de salles et les films de plateforme. Les Majors se sont mises à concevoir des œuvres prévues pour une exploitation en salles, et d’autres œuvres exclusivement pour les plateformes de streaming. Ce sont principalement les films d’auteurs, les plus audacieux et expérimentaux formellement, qui atterrissaient sur les plateformes, à l’opposé des productions à gros budget type blockbusters. J’ai l’impression que le Covid a accéléré la transition dans le reste du monde. De mon côté, j’aime les deux. Quand les cinémas étaient ouverts, j’y allais régulièrement, et quand ils vont rouvrir, j’y retournerai évidemment, mais ça ne m’a jamais empêché de regarder des films chez moi. Avant l’existence des plateformes, je visionnais des films en DVD. Les modes de consommation sont différents. J’aime les séries TV, j’aime découvrir des nouvelles œuvres tous les jours. C’est presque un besoin. C’est fabuleux d’avoir désormais une offre aussi variée. Nous vivons une période riche et exaltante en matière d’œuvres cinématographiques. Et ceci également d’un point de vue purement créatif. Le fait d’avoir accès à d’autres systèmes de financement permet de faire des films qui étaient auparavant impossibles à mettre en place, notamment parce qu’il y a un respect des auteurs sur les plateformes.

Il y a toujours eu une sorte d’a priori de la part du public français vis-à-vis du cinéma de genre fait par les réalisateurs français.

En tant que réalisateur de films de genre installé depuis le milieu des années 2000 à Hollywood, diriez-vous que les manières de produire des films d’horreur ont changé en 15 ans?
Quand j’ai réussi à voyager à l’international grâce au succès de Haute Tension, que les portes d’Hollywood se sont ouvertes pour moi et que j’ai commencé à travailler sur le remake de La Colline a des yeux, l’époque était marquée par un retour à un cinéma d’horreur radical, brutal et violent. C’est ce qu’on appelait le «splat pack» [NDR. terme inventé par le critique Alan Jones, et qui désignait également les films de Rob Zombie, Neil Marshall, Greg Mclean ou encore Eli Roth]. Il y a eu un vrai déclic au début des années 2000 et depuis, l’engouement n’a jamais cessé d’augmenter. De plus, parallèlement des séries comme Walking Dead ou Game of Thrones ont fédéré un public beaucoup plus large autour du «genre». La violence et le gore dans ces séries sont d’ailleurs parfois bien plus intenses que dans certains films d’horreur classiques. Ce nouveau public a donc découvert que le cinéma de genre, immersif et d’expérience, était un cinéma attractif. En se restreignant à la salle de cinéma, le cinéma de genre est le seul qui réussit encore à tenir tête aux super-héros et aux énormes franchises. J’ai l’impression que ce succès s’explique par le fait que le cinéma de genre est un cinéma qu’on vit plus qu’on le regarde. Je pense que la période actuelle est une conjoncture assez parfaite pour les amoureux du «genre».

Tout à fait, et Hollywood s’est de plus en plus ouvert à une forme d’horreur plus créative. Je pense notamment aux productions Blumhouse, qui ont relancé M. Night Shyamalan, ou ont consacré Jordan Peele, ou bien aux productions A24, plus arty et européennes.
Le cinéma de genre est un cinéma d’auteur. Historiquement, il a toujours été porté par la vision d’un cinéaste, qui en général écrit son scénario et porte son histoire. Le cinéma de genre d’exploitation commercial n’existe d’ailleurs presque plus. Blumhouse en a fait sa marque de fabrique, en proposant aux réalisateurs des budgets plus réduits en contrepartie d’une liberté artistique totale. Ça se ressent même jusque chez Netlix, dont j’ai pu découvrir récemment l’une des productions, l’excellent His House. Il s’agit d’un vrai film d’auteur, avec un sous texte politique très fort, tout en restant absolument effrayant. Fondamentalement, la littérature fantastique, d’horreur ou de science fiction a toujours été présente pour porter une réflexion sur le monde, nos sociétés, la nature humaine. Les films d’horreurs récents reviennent dans cette direction. Ils n’ont plus seulement une vocation de divertissement.

Êtes-vous sensible à l’émergence d’une nouvelle génération de réalisateurs de films de genre français, que ce soit Julia Ducournau, Bertrand Mandico, Just Philippot ou les frères Boukherma (réalisateurs de Teddy)?
Je trouve qu’il y a une force créative extrêmement puissante, et pas seulement au sein de la nouvelle génération, mais également dans la génération précédente. Ce sont vraiment des auteurs avec un regard sur la société, et qui ont besoin de s’exprimer à travers le genre. Des générations entières de réalisateurs français ont été brimées parce qu’il était compliqué de trouver des financements pour le cinéma de genre. Aujourd’hui, la donne change, en grande partie grâce aux plateformes qui ouvrent à des financements plus larges. Je suis très optimiste sur le futur du cinéma de genre en France, alors que pendant très longtemps c’était malheureusement un peu le désert.

Par le passé, dès qu’un réalisateur français rencontrait un succès à l’international avec un film de genre, il en profitait pour continuer sa carrière à l’étranger, afin de ne pas rester brimé en France.
En France, il y a un double problème. Tous ces films, Martyrs, A l’intérieur, Haute Tension, même Grave, ont reçu un bon accueil de la part de la critique et un bon écho de la part de la presse internationale, mais n’ont finalement pas été de succès publics. Il y a toujours eu une sorte d’a priori de la part du public français vis-à-vis du cinéma de genre fait par les réalisateurs français. C’est paradoxal, car cet a priori disparait quand ces mêmes réalisateurs partent faire un film à l’international. Ils marchent mieux au box-office en France. J’espère vraiment que l’on va sortir de ce paradoxe, car il a pendant trop longtemps contraint la force et la création de toute cette génération de réalisateurs.

Vu l’effet de mode grandissant du film de genre français, peut-on imaginer vous voir à l’avenir tourner un nouveau film d’horreur en France?
Tout dépendra des histoires et des sujets des films. Si un jour je tombe sur un script incroyable qui se justifie en français, évidemment, je n’hésiterai pas une seconde. Je pense que la langue accompagne manière légitime avec l’histoire. Pour Oxygène, il s’agissait d’une véritable opportunité. Néanmoins, le prochain film que je ferai sera très certainement en langue anglaise.

Diriez-vous qu’il existe un cinéma de genre français?
La France a enfanté quelques-uns des plus grands écrivains de science fiction. On a peut-être également les contes les plus cruels qui aient été écrits. De plus, le premier réalisateur d’un film de genre est français, c’est George Méliès. On s’est un peu perdu malheureusement, mais j’espère que l’engouement créatif pour le genre va revenir. Le courant des «French Frayeurs» a-t-il réellement existé? Peut-être, en tout cas, c’était un cinéma très radical et très gore, qui s’expliquait notamment par les micros-budgets alloués aux films, un peu comme les productions Blumhouse. Pendant longtemps, l’argument et le sous-texte des films de genre français étaient ce qui en faisait la spécificité. Au contraire, aux Etats-Unis, comme c’était un cinéma avant tout commercial, il fallait à tout prix cacher le sous-texte derrière les histoires. L’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes français s’explique peut être parce que le cinéma d’horreur anglo-saxon redevient plus politique qu’auparavant.

Un mot sur vos prochains projets?
Je voudrais répondre à cette question, mais avec la pandémie tout a pris du retard. J’ai donc plein de projets en suspens et plein de choses prêtes à tourner. Je ne sais pas lequel sera le prochain. J’espère en tout cas retourner sur un plateau de tournage dès cet été.

Oxygène d’Alexandre Aja, disponible sur Netflix le 12 mai 2021

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