MICHAEL SHANNON STORY #02

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Qui pouvait passer après une star du chaos comme JENNIFER JASON LEIGH dans notre merveilleuse rubrique STORY? Trois propositions s’imposaient à nous, entre deux flûtes de champagne: MICHAEL SHANNON, MICHAEL SHANNON ou MICHAEL SHANNON.
Nous avons donc voté MICHAEL SHANNON.
Deuxième partie de notre STORY consacrée à un acteur very CHAOS!

S’il vous plaît, please, stop in the name of love, ne l’appelez plus « Michael Shannon », appelez-le « Mike Shannon ». C’est ainsi qu’il tenait à être crédité dans Jesus’Son (Alison MacLean, 1999), mais aussi dans d’obscurs films suivants comme The Photographer (Jeremy Stein, 2000) ou New Port South (Kyle Cooper, 2001) que personne n’a vu, à l’exception de quelques festivaliers à Sundance désœuvrés, un soir d’ennui. Dans les grosses productions rémunératrices en revanche, appelez-le « Michael ». Criez-le, même. But why this schizophrenie, « Mike/Michael »? Personne ne le sait. Tout ce que l’on sait, c’est que l’on ne sait rien, de toute façon, depuis toujours. Ainsi, c’est en « Michael » qu’il est crédité chez Joël Schumacher (Tigerland, son film de guerre indie avec Colin Farrell en lead rôle, dans lequel il mettait amoureusement en scène son casting viril) ou encore chez un autre Michael (Bay), dans l’affreux Pearl Harbor (2001) et dans le really too much chaos Bad Boys 2 (2003).

Non, il ne faut surtout pas en vouloir à Michael. Enfin, à Mike. Oh puis zut, callons-le Michel, à la fin. Tout le monde doit se faire une sage raison: pour faire ce que l’on aime dans la vie et payer ses factures à la fin du mois, il faut aussi faire quelques concessions. Zieuter notre acteur super-héros quelques minutes dans de tels navets n’a, évidemment, aucun intérêt pour nous, pour vous, pour lui. D’autant que cette escale à Los Angeles n’a duré que deux ans, le temps d’enchaîner trois productions estampillées Jerry Bruckheimer. Vous aussi, vous vous demandez: quel est le troisième – et honteux – navet de Mimi pendant cette parenthèse à L.A.? Eh bien, il s’agit de Kangourou Jack (David McNally, 2003), avec deux acteurs idiots (Anthony Anderson & Jerry O’Connell) qui reprennent le tube Land Down Under du groupe Man at work avec… un kangourou. Si, si, ce film existe.

Passons également sur un autre film qui nous révulse profondément: Vanilla Sky, le remake US de Ouvre les yeux réalisé par Cameron Crowe. Par amour pour le classique de Alejandro Amenabar, nous n’avons pas osé jeter un œil. [Si nous avons tort, écrivez-nous mais bon courage]. On remarque enfin Michael Shannon dans 8 Mile, le biopic pas veugra chaos du rappeur vénère Eminem des années avant ceux consacrés à des artistes aussi lumineux que 50 Cent et Justin Bieber. Naguère, un autre rappeur made in France (Stomy Bugsy, lol) trouvait que « c’était trop de la balle« . Si le chanteur de l’infect Mon papa à moi est un gangster avait des yeux (et du goût, mais n’en demandons pas trop non plus!), il aurait alors vu que Michael Shannon éclatait tout le cast en quelques scènes et avait la possibilité d’exister en petite frappe (faussement propret, violent, instable) bousculant la maman de Eminem jouée au cinéma par Kim Basinger, revenue de très loin et repartie aussitôt. Acting de malade quand Michael balance Kim contre le frigo, grimace de Shasha lorsque Eminem se lève pour lui en coller une. La scène est un peu « chaos » parce qu’elle nous fait un peu rire et surtout parce qu’elle permet à Mike de s’entraîner avant de connaître les joies futures de l’autodestruction et des pulsions inavouables. Oh yeah.

On retiendra de cette période assez maigre un joli rendez-vous avec John Waters. En effet, Michael Shannon figurait dans son avant-dernier film à ce jour, le très sympa Cecil B. Demented, que tout le monde y compris les fans hardcore trouvent un peu faible. Notre ami Pope of Trash lui avait confié un rôle rêvé: faire partie de la bande de ciné-terroristes qui kidnappe cette bitch de Melanie Griffith: “Tu me demandes comment j’ai eu le rôle dans Cecil B. Demented? Écoute, c’est très simple, j’ai passé une audition et j’ai hurlé : “Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur la bite et les couilles de Mel Gibson?” John Waters m’a donné le rôle!” Flippant, Michael? Non, drôle à mourir. Drôle dans la vie, évidemment. Au cinéma, c’est autre chose. Au cinéma, il est en empathie avec les fous, les marginaux, celles et ceux qui ne trouvent pas leur place dans ce monde qui nous dévaste chaque jour un peu plus. Des sentiments nobles qui devraient animer tous les acteurs au monde, même Kev Adams. Dans Cecil B. Demented, Michael Shannon arbore un joli tatouage Fassbinder. C’est classe, non? “Oui, mais bon, j’avoue, confesse Shasha. Je ne connaissais pas beaucoup son cinéma à l’époque, juste les titres.” Il est impoli. On adore.

Certes, il est vrai, le cinéma peut s’avérer chaos quand John Waters filme une orgie habillée sur les toits (la fin de Cecil B. Demented). Mais Mike qui rêvait de devenir joueur de jazz ou architecte ne peut pas s’empêcher de revenir à ses premières amours: le théâtre. Car le théâtre, aussi, c’est chaos. Sur scène, Michael/Mike/Michel exprime tout ce qu’il tient fermé à double tour dans son for intérieur. C’est à Chicago, la ville où il se sent le mieux et qu’il connaît par cœur, qu’il a fait la connaissance du dramaturge Tracy Letts. Comme nous vous le confions dans la première partie de notre story, Michael et Tracy se sont croisés sur Chicago Cab (1997). Au fil du temps, Tracy a trouvé en Michael la parfaite incarnation de ses propres obsessions, si noires, si chaos. «La plupart de mes personnages ne sont pas réellement mauvais, tempère Michael Shannon aux plus échaudés. Ce qui les caractérise surtout, c’est un fort conflit intérieur, une instabilité inquiétante, qui doit être due à mon physique!»

Au début des années 90, Tracy écrit deux pièces, Bug et Killer Joe. Soit bien avant les adaptations cinématographiques que nous connaissons trop bien. Shannon jouait le rôle principal de l’amour paranoïaque dans la première, celui du fils qui vend sa sœur au tueur à gages dans la seconde. Et il a interprété ces deux rôles des centaines de fois, sur scène. Pourquoi un tel amour de la démence et une inclinaison si naturelle pour la marge et la solitude? « Quand j’étais ado, mon père et mon belle-mère m’avaient envoyé chez un psy. Dans mes souvenirs, je me contentais de m’asseoir et de le fixer, et éventuellement je me levais, je jetais tous les livres des étagères, donnais un coup dans une lampe et sortais de la pièce. Mais maintenant, nous sommes les meilleurs amis du monde. Si vous me donnez suffisamment de temps, je peux devenir disons raisonnable. » Normal donc qu’à 16 ans, lorsqu’il se produit pour la première fois sur scène, il se souvient précisément de la première critique à son égard dans un magazine: « Je me souviens qu’un mec avait écrit: « Michael Shannon est un jeune mec moyennement attractif persuadé que jouer consiste à agiter ses bras comme un oiseau et frotter ses sourcils. » » Et ça le fait hurler de rire.

Lors de la seconde représentation, Shannon a joué les bras collés au corps. « Je n’ai pas de maître, je n’ai jamais appris, je n’ai pas de technique, j’ai juste cette passion inextinguible. J’ai lu cette critique et j’ai continué de jouer. Et pour la pièce suivante, le même critique est revenu et a écrit: « Je maintiens que Shannon déploie un jeu faible, mais je pense qu’il doit être assez content de lui, à la fin de la journée. » Abattu? Que nenni: c’est mal connaître Shannon qui voit loin et ne s’arrête pas aux petites phrases assassines. Mieux, il en rit aujourd’hui et on l’en sait gré, in the name of chaos. La « pièce suivante » en question, c’est Fun and Nobody, mis en scène par Dexter Bullard et… Tracy Letts. Au moment des répétitions, Shannon demande innocemment à Letts pourquoi les scènes de baston doivent être chorégraphiées. « Il ne comprenait pas pourquoi on ne se battait pas pour de vrai« , se souvient ce dernier. L’anecdote n’est pas anodine. C’est en apprenant à se battre sur scène, des années plus tard, lors des représentations de Killer Joe que Michael Shannon avoue être devenu « acteur »: « Vous devez apprendre à maîtriser votre corps dans ces moments extrêmes, autrement vous risquez de blesser quelqu’un ou de vous blesser« . Bluffé, Letts se dit pendant les dernières représentations de Killer Joe à New York en 1998 qu’il serait incapable de faire ce que Shannon provoque sur scène.

La révélation Friedkin. Un soir, William Friedkin découvre une représentation de Bug de Tracy Letts. La pièce cartonne à New York. En sortant, Willy le cinglé s’avoue sous le choc. Pour lui, Bug, c’est du romantisme à l’état pur: noir, organique, viscéral. Un an plus tard, il l’adapte au cinéma et signe sans prévenir un sommet dans sa filmographie: “Quand William Friedkin s’est rendu à New York, il avait dit au départ qu’il allait tout faire pour conserver le casting de la pièce de théâtre pour la transposition cinématographiques, se remémore Michael Shannon. Malheureusement, ça n’a pas été possible. Mais il a d’emblée insisté sur le fait que s’il ne devait conserver qu’une seule personne, ce serait moi. Et il a tenu sa parole. J’ai vraiment apprécié ça.”

Deux personnages paumés qui soignent leurs blessures (elle a perdu un enfant, il a connu des expériences traumatisantes pendant la guerre du Golfe). Deux maudits trahis par la vie qui ne pensaient pas, un jour, connaître l’autre, connaître l’amour et qui semblaient condamnés à ruminer des rêves seuls, le soir, sous des néons bleus, en contemplant le monde vivant sans eux. Lui (Michael Shannon) ne ressemble pas aux mecs rustauds du coin, se moque bien de faire l’amour le premier soir (« Les gens sont toujours décevants une fois qu’on les a vus nus« ), voit des choses que les autres ne voient pas, s’envisage en marge (queer au sens propre) et cache un cœur fou prêt à aimer à mort; Elle (Ashley Judd) vit dans la peur de son ex lui soutirant ses économies, fuit les regards chargés de promesses, ressasse la culpabilité d’avoir perdu son enfant un jour au supermarché du coin et d’être passée à côté de son rêve. Éteinte puis regardée comme personne ne l’a jamais regardée, elle va s’illuminer et trouver en ce mystérieux inconnu la présence sécurisante qui lui manquait.

Bug, c’est donc une sublime histoire d’amour fou en même temps qu’un film sous coke. Quelque chose comme la vision hallucinée d’une paranoïa ordinaire de l’Amérique post-11 septembre ayant contaminé le monde entier et qui se traduit ici par les bourdonnements de climatiseurs, les bruits flippants du ventilateur, les ombres sur les murs suintants, la sonnerie agressive du téléphone, la crise d’épilepsie. Jouant comme s’ils étaient en direct en plein happening, Ashley Judd et Michael Shannon sont sidérants. « Michael savait instinctivement comment jouer son personnage, maintient Friedkin, parce qu’il l’avait déjà joué au théâtre et surtout il était très proche de ce personnage dans la vie réelle, assez sombre. Ça ne m’étonne pas d’ailleurs qu’il se soit spécialisé dans ce genre de rôles par la suite: s’il est aussi puissant dans ce registre extrême, il n’y a pas de secret, c’est parce qu’il connaît ça. » Et le « ça » que dit Friedkin à ce moment précis, vous l’entendez comme nous. Ce « ça » veut tout dire. Ce « ça » désigne l’accident que n’importe qui peut commettre par amour. Ce « ça » nous ressemble. Ce « ça » nous rassure. Les deux amants traversent le film enchaînés, du paradis à l’enfer. Adam et Eve s’appellent Éros et Thanatos. Irradiés par l’amour fou, lui et elle se noient silencieusement, meurent avec l’autre, leurs regards soutenant : « cette vie fut atroce, cette vie fut belle, cette vie fut nous, ensemble « . C’est la fin du monde. Et la naissance de Michael Shannon. Une éclosion dans le chaos. Une libération, un soulagement surtout. Quelqu’un qui, le temps d’un simple film, nous dévaste comme personne ne l’avait fait auparavant. Une épaule amie sur laquelle se reposer. Un autre qui existe pour de vrai. Peut-être l’acteur le plus mélancolique au monde, le plus précieux aussi, à suivre sans se poser de questions, comme une flamme dans un paysage sombre…

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