[LE CERCLE INFERNAL] Richard Loncraine, 1977.

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Fan de la première heure, le réalisateur Pascal Laugier décrypte pour nous Le Cercle Infernal de Richard Loncraine.

PAR ROMAIN LE VERN & PASCAL LAUGIER

Mine de rien, il y a quand même pas mal de cinéphiles vouant une vénération sacrée pour Le Cercle Infernal, de Richard Loncraine que les amateurs de fantastique aiment à comparer à Ne vous retournez pas, de Nicolas Roeg. Le moins connu des deux (Le cercle infernal) relate le parcours d’une mère (Mia Farrow, inoubliable), désemparée par la mort de sa petite fille, qui quitte son mari et s’installe dans une demeure victorienne, confrontée à des phénomènes étranges. Avant d’être un objet à frisson, ce véritable drame humain sur un deuil impossible surprend par la qualité de son interprétation, la solitude de son personnage, la sobriété de ses effets, la beauté silencieuse de ses plans, l’atmosphère ouatée, la musique sublime, infernale, de Colin Towns. On ne l’oublie pas et Pascal Laugier ne peut pas l’oublier. Cool, il nous en parle.

Pascal Laugier : Le Cercle Infernal était une coproduction étrange entre l’Angleterre et le Canada de sociétés qui ont disparu depuis longtemps, on ne sait pas très bien qui en détient les droits. Il faut en refaire un master, mais ça finira par arriver. J’y crois. Le film est sorti en Allemagne, en France et à chaque fois, avec des copies racleuses du master VHS tout pourri. Et je ne désespère pas de le voir ressortir dans une qualité plus correcte. C’est un de mes films favoris. Je ne le considère pas comme «parfait», c’est juste un des films pour lequel je voue une admiration sans borne. Malgré ses défauts. J’ai pleinement conscience que le scénario est malhonnête et pose vraiment un problème. Mais Le Cercle Infernal me bouleverse à chaque fois que je le vois. Littéralement. A en chialer. C’est la musique de Colin Towns, c’est l’incarnation de l’héroïne idéale (Mia Farrow) avec les cheveux courts…

Dans le même registre, vous n’avez jamais eu une préférence pour un film comme Rosemary’s baby?
Pascal Laugier: Je ne sais pas si je le préfère mais je sais que Rosemary’s baby est supérieur en tous points à Le Cercle Infernal. A dire vrai, c’est un attachement presque irréfléchi. A chaque fois que je vois Le cercle infernal, j’en pleure…

Qu’est-ce qui vous bouleverse?
Pascal Laugier : La thématique. L’idée que le fantastique n’est pas un genre abstrait ni même un genre de pure évasion. Je n’aime pas l’idée que le fantastique soit réservé aux joueurs de jeux de rôles, aux gens qui ont un problème avec le réel et qui le fuient. J’ai une tendresse pour ces gens-là parce que j’aurais pu être comme eux mais je me suis soigné de cette tentation d’être un nerd qui a peur des femmes, se moque de ses fringues et de la qualité de sa peau (il rit). Il faut faire attention à tout ce qui tourne autour de la névrose. Bref, le cinéma fantastique n’est pas pour moi un moyen de me protéger du monde pour le fuir. Rapidement, à l’âge de raison, j’ai compris que le fantastique parlait de choses très concrètes. Après, il y a des choses par rapport à votre nature qui vous touchent plus que d’autres. Le deuil, par exemple, me pose beaucoup de questions. Je pense à Ne vous retournez pas, de Nicolas Roeg.

Ne vous retournez pas et Le Cercle Infernal sont deux films que beaucoup ont tendance à mettre en opposition. Quelle est votre position?
Pascal Laugier : Là encore, je pense que Ne vous retournez pas est supérieur mais ça reste un film plus théorique. Donc j’ai encore tendance à préférer Le Cercle Infernal. Dans Le Cercle Infernal, il y a moins d’artifices, rien qu’un personnage qui souffre avec ses démons… En revanche, il y a des éléments qui m’échappent toujours dans Ne vous retournez pas.

L’utilisation du flash-forward par exemple?
Pascal Laugier : Oui, par exemple. Et puis Ne vous retournez pas est un film réalisé par un intello. Un cinéaste disons plus universitaire que Richard Loncraine. A l’époque, Loncraine n’était qu’un humble artisan. Dans Ne vous retournez pas, je ne comprends toujours pas par exemple d’où sort le monstre que l’on voit à la fin. Dans Le cercle infernal aussi, il y a des incohérences mais elles me paraissent moins obscures. Je ne comprends pas pourquoi une tierce personne est attaquée par le fantôme. Le mari joué par Karl Dullea est attaqué par le fantôme alors que le fantôme n’existe pas. Je pense à cette scène où il entre par effraction chez sa femme. Il tombe des escaliers, on ne voit rien et quelqu’un éteint la lumière pour l’assassiner. Sérieusement, qui fait ça ? Pour moi, c’est de la malhonnêteté envers le spectateur. Le film joue carrément sur les deux tableaux alors qu’il raconte juste le suicide progressif d’une femme meurtrie par la perte de son enfant et que c’est d’une tristesse inouïe. C’est ce genre de problème qui empêche Deux Sœurs, de Kim Jee-Woon, d’être un bon film. Tout d’un coup, le réalisateur montre un personnage en train de rêver, seul dans une pièce. Et à la fin, on explique que ce personnage n’existe pas. Ce n’est pas possible. On n’a pas le droit de faire ça. Un fantôme ne peut pas être filmé tout seul dans une pièce en ayant des cauchemars…

Mais Deux sœurs brode sur un cas de schizophrénie, non?
Pascal Laugier : Je ne suis pas d’accord. Un personnage qui n’existe pas et que l’on filme pendant tout le film seul, vu par personne, il y a pour moi un vrai problème de point de vue dans la mise en scène. Si le fantastique commence à être malhonnête au niveau du point de vue, alors c’est fini, c’est mort. Comme Anthony Zimmer par exemple. Quand on apprend que Yvan Attal est Anthony Zimmer, pourquoi est-ce qu’on le filme comme un mec qui ne sait pas que c’est lui ? Ce principe narratif ne fonctionne pas ou alors s’exprime en manifestant un mépris pour le spectateur. Le Cercle infernal, c’est pareil. J’ai beau adorer ce film, je ne comprends pas qui éteint la lumière dans la maison de Mia Farrow. Désolé. En plus, les fantômes n’ont pas une capacité à actionner des interrupteurs.

A quel moment avez-vous découvert Le cercle infernal?
Pascal Laugier : J’ai dû le découvrir avec la fameuse cassette vidéo d’origine que j’ai conservée. Je devais avoir 17-18 ans et le film m’a détruit. C’était pour moi une forme de cinéma idéal entre expression personnelle, cinéma intimiste et ce que j’aimais le plus dans la sensibilité féminine du genre avec en plus ce romantisme victorien anglais car tout le film se passe à Londres. Ça a beau être une production anglo-canadienne, tout le film se déroule à Londres. C’est d’ailleurs un one-shot car Richard Loncraine a fait d’autres films intéressants comme Brimstone and Treacle mais ce n’est pas un cinéaste majeur. Je ne me souviens plus comment d’ailleurs il est arrivé sur le projet. Il semblerait que Peter Straub était un auteur assez reconnu en Angleterre et qu’un producteur a juste demandé à Loncraine d’adapter l’un de ses romans, Julia. Le cercle infernal est porté par sa musique qui est l’une des plus belles composées pour le cinéma fantastique. A la revoyure, il y a un très beau filmage en Cinémascope. De toute façon, je suis prêt à le défendre avec une mauvaise foi totale mais ça fait partie des défauts que l’on peut avoir lorsqu’on est cinéphile. Quand on voit des objets qui semblent faits pour nous, on les aime envers et contre tous. Dans ma bande de potes, je suis peut-être l’un des seuls à autant aimer ce film. Christophe Gans a essayé de montrer à plusieurs reprises à quel point Le cercle infernal – qu’il aime beaucoup – ne tient pas la route en terme de scénario. Et il a raison. Néanmoins, ça n’en reste pas moins un film que j’aime voir et revoir. Il y a des moments inoubliables…

D’ailleurs, dans Saint-Ange, vous empruntez littéralement un plan du Cercle Infernal
Pascal Laugier : Oui, le travelling autour du fauteuil. On peut même carrément dire que c’est un pompage total. Voilà un truc que je ne referai plus jamais. A l’époque, je voyais ça comme une nécessité absolue et fétichiste, pas très intéressante en soi, de le refaire. Ça fait partie des erreurs de jeunesse que je ne referai plus. Voler un plan à un autre cinéaste, ce n’est vraiment pas bien.

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