[LA PEAU] Liliana Cavani, 1981

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1859

Co-scénarisée par Catherine Breillat, cette adaptation du roman autobiographique de l’écrivain italien Curzio Malaparte par la réalisatrice de Portier de nuit, se révèle une farce monstrueuse d’une crudité et d’une cruauté sans nom sur la libération de Naples par les troupes américaines.

1943. Sur la route de Rome, les forces américaines investissent Naples, ne se heurtant qu’à une faible résistance allemande. Curzio Malaparte (Marcello Mastroianni), officier de l’armée italienne de libération et écrivain sans illusion, se lie avec le général américain Mark Cork (Burt Lancaster, qui a joué pour la Cavani à titre gracieux), chef de la cinquième armée. Ce dernier lui confie une singulière mission: traiter avec un résistant qui prétend vendre les 200 Allemands qu’il a fait prisonniers au kilo et augmente sans cesse les prix tout en engraissant sa marchandise humaine. Malaparte en tire de tristes réflexions sur la nature humaine, qu’il fait partager à une belle et ambitieuse aviatrice yankee (Alexandra King), horrifiée par toute cette misère humaine.

Il s’agit de l’adaptation littérale d’un roman de Curzio Malaparte, publié en 1949 et ayant alors provoqué l’ire de ceux qui l’avaient lu à l’époque. Au début, on ne se doute de rien, on se croit parti pour une balade philosophico-mélancolique avec un Mastroianni impeccable, jouant l’ancien fasciste promu officier de liaison devisant sur « la guerre qu’elle est moche », donnant à voir le chaos autour de lui. A travers lui, on saisit qu’en 1943, débarquer à Naples c’est comme débarquer à Babylone: c’est la misère et les décombres d’une ville qui vient de sortir de la guerre mais pas seulement. On y découvre aussi l’horreur d’une libération (ici, désacralisée) révélant l’attitude monstrueuse des forces US alliées tout comme le désespoir inhumain du peuple italien vaincu, et servant de paillasson. Petit à petit, des visions abominables affluent et l’on saisit que Cavani regarde Mastroianni/Malaparte comme un certain Céline cerné par les flammes des enfers. Ce qu’on y voit autour, hors champ ou parfois en grand plan est de plus en plus effroyable, à gerber: des prisonniers allemands vendus au poids, des enfants donnés aux soldats pour être abusés, un soldat étripé par l’explosion d’une mine, des chiens blessés servant de sujets d’expérience en laboratoire… On vous met au défi de ne pas avoir un haut-le-coeur pendant une scène de diner où une « sirène » est servie aux convives (et on vous épargne la description de ladite sirène!), et de ne pas avoir les yeux exorbités par ce final, d’un cynisme à se flinguer.

Rien à voir avec des films de guerre immersifs coups de poing comme Requiem pour un massacre, Cavani ne cherche pas la survie mais le constat brut, l’inertie molle pour mieux donner à constater l’impuissance de l’homme en temps sinistré, face à ces petites histoires dans la grande. Nous finissons La Peau tels des bipèdes abattus; la folie de ce conte ordinaire entre surréalisme et hyperréalisme, dont l’apothéose s’avère l’éruption du Vésuve, anéantit toutes nos certitudes de savoir sur l’espèce humaine. Ce qu’on y voit est tellement révoltant qu’on peut effectivement se demander s’il faut en blâmer ou en féliciter la cinéaste qui, dans sa mise en scène, joue sciemment, consciencieusement, de l’obscénité, de la complaisance, de notre révolte passive, assise, occidentale… Cela se questionne, bien sûr: n’y a-t-il pas un vrai problème de point de vue dans La Peau? Dans cette perspective de faire un film horrible sur l’horreur des hommes? On a beau aimer le chaos et l’inconfort, cette volonté de choquer à tout prix, surtout au moment où le spectateur ne s’y attend pas, et ce regard sur les événements s’avèrent les limites réelles de ce film, plombé par sa dimension édifiante, aussi discutable qu’impressionnant, qui ressemble à quelque chose comme Catch 22 de Mike Nichols (1971) revu et salopé par un Verhoeven hargneux: aucune crainte du mauvais goût avec une intensité cinématographique si exceptionnelle.

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