[KITTEN WITH A WHIP] Douglas Heyes, 1964

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Quand l’Amérique square de Douglas Sirk rencontre celle délurée de Russ Meyer. Il faut découvrir ce formidable film chaos tombé aux oubliettes, que John Waters ne cesse de couvrir d’éloges.

Une jolie baraque à San Diego. Alors que sa femme est à l’étranger, un politicien aux cheveux bien laqués (John Forsythe) tombe sur une adolescente qu’il ne connait pas dans le lit de sa fille. Son premier réflexe est de s’en débarrasser, mais la jeune femme (Ann-Margret) use de ses charmes pour susciter la pitié. Notre (bien naïf) homme politique découvre rapidement qu’elle s’est en fait échappée d’un centre pénitentiaire pour mineurs, après avoir préalablement foutu le feu et poignardé la directrice! Maintenant qu’elle y est, elle est bien décidée à squatter l’appartement, sous peine d’accuser notre homme public de viol, ce qui n’est pas, vous en conviendrez, la meilleure des promesses électorales… Et voilà l’honnête homme contraint de cohabiter avec cette blonde atomique, qui ne tarde pas à organiser des soirées dans l’appart avec ses copains beatniks!

Ne nous demandez pas d’où sort ce Douglas Heyes: nous savons juste qu’il a pas mal officié à la télévision (notamment sur une dizaine d’épisodes de Twilight Zone) avant d’arriver sur ce Kitten With A Whip (1964), adaptation d’un roman de Bob Wade and Bill Miller dont la rumeur veut qu’il fut d’abord proposé à une Brigitte Bardot fraîchement sortie du Mépris (1963). C’est finalement la voluptueuse Ann-Margret, 23 ans, qui décroche la timbale. Et ça tombe bien. Le double féminin d’Elvis cherche à briser son image de jeune fille sage, son voeu sera plus qu’exaucé: d’un côté des cohortes de fans qui ne comprennent pas pourquoi leur protégée s’acoquine avec des série B pareilles, de l’autre une réception critique calamiteuse, couronnée par une postérité «Razzie» qui en dit long sur le manque de clairvoyance du Landerneau cinéphile, même a posteriori!

Serviette de bain choucroutée sur les cheveux, ecchymoses apparentes au niveau du dos, tesson de bouteille de whisky à la main, expressions grimaçantes et berserk que le Chaos affectionne tant: Ann-Margret nous déroule ici une panoplie camp magistrale, qui enfonce les derniers coups de boutoir dans un code Hays plus vraiment en odeur de sainteté. Tellement badass que queenie Lindsay Lohan a un temps envisagé de reprendre le rôle dans un remake (voilà quelqu’un qui a du goût)! Le film invite à un brouillage de codes pré-Nouvel Hollywood, où le spectateur ne sait pas vraiment s’il doit choisir un camp entre cette Amérique névrosée encore branchée sur le logiciel Eisenhower, et la modernité arrogante de la jeunesse beat, très loin de la dépiction hagiographique.

« It was not an exploitation movie. It was sold as an exploitation movie, and it had a little of that, but it was really an art film« , résume parfaitement John Waters, véritable ambassadeur de ce film découvert au lycée avec le poto Divine, qui infusera nerveusement ses débuts. Cousin direct de films de dépravation d’intérieur comme Lady in a Cage (1964) et Who Killed Teddy Bear? (1965), Kitten with a Whip sort tout droit d’une Amérique qui perle du front, coincée entre la teensploitation encore quadrillée de La Fureur de vivre et ses innombrables dérivatifs, et le cinéma de la cocotte minute d’un Samuel Fuller («a film is like a battlegroundddddd»). On ne fut d’ailleurs pas surpris de découvrir que le chef-op, Joseph Biroc, officia avec Fuller mais aussi sur les Robert Aldrich et les William Castle des sixties: un cinéma du songe, du mauvais goût, de la sophistication kitsch, de l’humour acide et de l’ambiguïté morale ne pouvait qu’accoucher de cette magnifique constellation!

Curieux mélange donc que ce film s’ouvrant sur l’esthétique ligne brisée d’un Saul Bass (est-ce lui ou l’un de ses épigones qui nous a désigné ce générique?), qui recycle une partie du score jazz bongo d’Henry Mancini pour Touch of Evil (1958), qui réutilise dans son dernier segment le Bates Motel de Psycho (1960), et qui trempe tout ça dans les codes du «roughie» soft! Quelques coupes brutales au montage laissent à penser que le cinéaste regardait attentivement vers l’Europe expérimentale et sa mise au pas godardienne… Une définition du film coup de cœur, celui-là même qui justifie de passer deux heures à farfouiller dans d’obscures listes Letterboxd, et les sites de téléchargement qui s’ensuivent. Chaos conquis!

Réalisation: Douglas Heyes. Production: Harry Keller. Scénario: Douglas Heyes & Whit Masterson. Avec: Ann-Margret, John Forsythe… Distrib: Universal Pictures. 83 minutes
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