GR: En général, les biographies de gens de votre génération regorgent de passages obligés : le portrait hagiographique de Jean-François Bizot par exemple. Dans votre livre, vous parlez de lui très allusivement, son nom ne revient que deux fois, et pas en termes hyper élogieux d’ailleurs… Pareil pour ces fameuses années Palace, lieu qui n’est même pas cité une seule fois dans le livre. On a l’impression que même votre culture underground n’était pas du tout celle du tout-Paris de l’époque…
JPD: Bizot, c’était mon meilleur ennemi! Je pouvais discuter avec lui, surtout à la fin de sa vie, quand il était malade, mais je n’avais pas oublié qu’il avait essayé de nous entourlouper pour prendre Métal. Je n’avais pas oublié qu’il avait derrière lui l’argent de Creusot-Loire. Il s’habillait comme un clochard, mais qu’il avait quand même des fortunes derrière lui… Quand il a été très malade et qu’il est revenu à Actuel, Jean Rouzaud me faisait monter le voir. Le pauvre Bizot, il n’allait pas bien. On était allé voir ensemble un concert de Sky Saxon, le mec des Seeds. Oui, c’était mon meilleur ennemi. Le Palace, c’est autre chose. Moi, je suis rentré dans le monde de la nuit avant, chez Castel, à une époque où il n’y avait pas de drogues, on était juste des pochetrons. Et là-bas, j’avais ma bande: Topor, Guy Peellaert, Mastroianni et quelques autres… Et ça volait haut, les conversations, jusqu’à 6 heures ou 7 heures du matin! Après, je suis devenu Bains Douches et Palace. J’ai vu arriver la drogue, on débutait par les Bains Douches bien sûr, on commençait à perdre le contrôle vers 2 heures du matin en allant aux toilettes trop souvent… Ensuite, ça a tourné mal parce qu’il y a eu quelques overdoses, et le sida est arrivé. La fin de la fête a été terrible. Je dois vous dire que j’ai un peu gommé tout ça parce qu’un jour, il y a eu une exposition de photos de Philippe Morillon, qui était un des décorateurs du Palace, un photographe, peintre et illustrateur. J’y suis allé avec un ou deux copains, il y avait Loulou de la Falaise, l’égérie Saint-Laurent, dans une chaise roulante, et on regardait les clichés de Morillon avec Castelbajac qui était là: à chaque fois, sur quatre ou cinq personnes par photo, les trois quarts étaient morts… C’était ce que je voyais au Studio 54 [NDLR. un club new yorkais légendaire, dont s’inspirera notamment Whit Stillman pour son The Last Days of Disco en 1998] avec I Will Survive, I Will Survive… Ça a été la fin de partie, la fin de la fête. Essentiellement d’ailleurs parce que le sida est arrivé par surprise, mais ce qui a fait plus de ravages, c’est la drogue. Les seringues sales qu’on s’échangeait… Et puis après, la non-croyance à la réalité du sida pendant quelque temps. Donc la fin de fête, elle a été terrible.

GR: Curieux que cet épisode n’apparaisse pas dans votre livre: vous l’aviez mis à la base et ça a finalement été raboté par votre collaborateur, Christophe Quillien?
JPD: Oui, parce que quand j’ai eu 1 600 000 signes pour un livre qui devait en faire 900 000, j’ai dû faire l’impasse sur plein de choses. Il y avait d’autres anecdotes, d’autres villes, d’autres gens, comme Tanino Liberatore que j’adore. Il y a plein de choses qui ne sont pas dans le livre. Quand j’ai commencé à vouloir couper dedans, j’ai réussi à enlever 20 lignes. Alors, j’ai appelé Christophe Quillien, «mon accoucheur», et je lui ai dit: «Tu tailles pour qu’il en reste 900 000, tu coupes absolument ce que tu veux, où tu veux». Lui, il n’est pas très people, alors cette succession de boîtes de nuit le gonflait un peu. Il en a gardé une, à titre d’exemple. Quand je parlais des personnages les plus extraordinaires que j’ai rencontrés, il en a gardé cinq, six. Mais il y en avait dix. Quand je peopolisais un peu en disant «tiens, une photo sympa avec Michel Pfeiffer et John Belushi à l’époque de la sortie de 1984 et avec ma copine Karen Allen des Aventuriers de l’arche perdue (1981)», il a dit «ça, c’est du name dropping» et j’ai dit OK. On fait forcément un peu de name dropping quand on a été au cœur de certains trucs, mais c’est vrai que là, on entrait dans le vrai name dropping! Je ne suis pas Gala, je ne suis pas Beyoncé non plus. Il a bien fait. Il y a des trucs qui manquent, parfois des trucs ahurissants. Je me souviens d’un night-club très connu qui n’était pas Le Palace où il y avait derrière des espèces de bureaux où on pouvait rentrer. On vous mettait sur la table 50 grammes de coke. Vous pouviez faire des allers-retours toute la soirée et à la fin, ils pesaient ce qui restait, et ils vous faisaient payer la différence. Y’avait quand même des mecs qui étaient à 15 grammes la nuit… Là, j’ai vu des choses pas belles parce qu’il y avait les mecs qui en prenaient volontiers, d’autres qui essayaient d’entraîner le reste du club à en prendre parce qu’ils ne voulaient pas rester seuls, sachant que la paranoïa allait très vite arriver pour tout le monde. Et puis, il y a ces mecs qui en faisaient prendre à des oies blanches, pour des raisons tout à fait évidentes. Weinstein n’est pas tout seul, hein. Il y a eu plein de mecs, pas forcément des metteurs en scène ou des producteurs, qui ont, en cette période de folie, complètement abusé. D’ailleurs, ce qui est très « marrant », c’est que quand on parle de Polanski, on oublie complètement qu’à l’époque, c’était monnaie courante. […] Donc c’est curieux que ça tombe sur certains et pas d’autres. Mais bon, c’était une autre époque, que personnellement, je ne juge pas. C’était une époque où on devait, où on pouvait tout faire. Moi, je me suis arrêté à certaines limites parce que j’ai vu des mecs qui sont restés scotchés au plafond après 4 champignons magiques et qui ne sont jamais redescendus… J’ai préféré continuer à prendre des cèpes et des bolets, hein! Je n’ai jamais touché à l’acide, je ne sais pas pourquoi. Ah si: parce que j’ai vu des mecs restés collés au plafond, mais collés collés, hein. Ils ont continué à avoir des irisations en traversant la rue. Il y en a qui toute cette défonce a ouvert des portes fabuleuses, mais c’était un peu un pari risqué. La coke, c’était juste quelque chose qui me permettait de continuer toute la nuit. Et puis éventuellement, faire trois jours avec le professeur Choron, parce qu’on tenait mieux l’alcool et on pouvait tenir le rythme plus longtemps. Mais bon. La coke, c’est pas très grave si on n’en fait pas une overdose en mélangeant avec autre chose. Parce que très vite, il y a des effets de dépendance physique, pas du tout psychologique (on peut arrêter quand on veut), qui font qu’on devient complètement parano. Alors le jour où on devient parano – c’est un cycle d’à peu près 10-15 ans – on arrête les frais. Parce que le jour où commence à voir des policiers partout qui vous suivent, alors qu’en fait c’est votre voisin de palier que vous connaissez depuis 10 ans, généralement, on arrête. Quand j’ai dit «j’ai arrêté tout seul», les vieux de la vieille m’ont répliqué: tout le monde arrête au bout de 10-15 ans. C’est pas comme l’héro à laquelle j’ai touché une fois. Heureusement, j’ai été malade, donc j’ai arrêté. Fin de cet aparté… C’est le genre d’excès qui n’intéressait pas Quillien, ça aurait été un bouquin trop gros, après on rentrait vraiment dans un truc sans fin.

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