[INTERVIEW CARRIÈRE] PIERRE RICHARD

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Pierre Richard: J’ai l’impression que les critiques d’aujourd’hui m’apprécient alors que ceux de l’époque me déconsidéraient…

Quelle raison y a-t-il à cela? Aviez-vous un côté grande gueule?
Pierre Richard: Pas du tout. J’ai toujours été relativement modeste, il me semble. Il faut savoir que mon style était plutôt nouveau. Les comédies de l’époque étaient toujours basées sur la même équipe, Galabru, Francis Blanc… Des gens extrêmement doués donc, mais le concept demeurait le même. Moi je suis arrivé avec un univers différent et j’ai l’impression qu’ils n’ont vu chez moi que l’ahuri, appelé le distrait pendant des années, alors que le film où j’ai fait des gags de distraction c’est Le Distrait, le premier! D’autant qu’au-delà de ça, il y avait une satire sur le monde de la pub notamment. On a occulté cela et gardé que le côté du gars à l’air un peu ahuri qui tombe tout le temps. D’ailleurs beaucoup de gens qui me reconnaissaient dans la rue disaient c’est celui qui tombe tout le temps!

Au sujet de ce personnage du distrait qui vous a suivi toute votre carrière…
Pierre Richard: (il coupe) On m’a collé cette étiquette de distrait alors que je n’ai fait qu’un film sur la distraction. Tous ceux que j’ai tourné après, non. Le grand blond n’est pas un type distrait.

Disons gaffeur alors.
Pierre Richard: Même pas. C’est un type qui est pris dans un engrenage. Vous seriez pris dans le même engrenage que vous auriez sans doute les mêmes réactions…

Il arrive quand même à coincer les cheveux de Mireille Darc dans sa braguette!
Pierre Richard: Oui, bon, il est maladroit (rires). Mais ce n’est pas de la distraction, ça. C’est de la maladresse. La maladresse je l’assume presque systématiquement dans tous mes films car c’est le socle du burlesque. Or, pour jouer correctement les maladroits au cinéma, il faut être très adroit dans la vie, et c’est mon cas. Francis Veber par exemple, a toujours fait très attention à ce que je ne sois pas un distrait. Quand je cogne la porte dans une glace, c’est parce que la porte aurait dû s’ouvrir automatiquement et qu’elle ne s’est pas ouverte. Ça, ça peut arriver à tout le monde.

C’est un peu votre faute tout de même. Vous avez crée ce personnage, c’est ce qui a fait votre succès.
Pierre Richard: Ce que je veux dire, c’est que mon corps était une sorte de bombe ambulante. Un gaffeur peut-être, mais qui dynamitait un phénomène de société, à l’époque la publicité. Dans Les malheurs d’Alfred c’étaient les jeux TV, qui nous accablent d’ailleurs aujourd’hui, comme quoi j’étais un peu visionnaire. Et dans Je ne sais rien mais je dirai tout c’étaient les marchands d’armes, quelque chose qui existe de plus en plus et qui est une honte pour l’humanité. Je ne sais rien mais je dirai tout était très dénonciateur de ce phénomène, mais tout ce qu’on voulait voir en moi, c’était le grand pitre désarticulé. Et tout à coup, depuis quelques années, et j’en suis ravi, certains critiques analysent mon travail en mettant en avant bien sûr le côté burlesque, mais aussi dénonciateur qui a toujours existé. Tant mieux, je suis content d’en profiter un peu.

On vous avait perdu de vue.
Pierre Richard: J’ai fait beaucoup de films dramatiques, pour lesquels j’avais toujours de bonnes critiques. Je me disais d’ailleurs que c’était mauvais signe. Que si j’avais une bonne critique, le film ne marcherait pas. Mais il paraît qu’on est un vrai comédien que lorsqu’on joue dans des films dramatiques. Je pense simplement encore une fois que la jeune génération de critiques m’aime bien. D’ailleurs c’est pareil avec les jeunes acteurs, ils m’adorent, à mon grand étonnement.

Ceci dit, vous avez tout de même travaillé avec Claude Zidi, Francis Veber, Gérard Oury, Yves Robert. Ce dernier dit d’ailleurs que c’est lui qui vous a conseillé de créer votre propre personnage.
Pierre Richard: C’est le plus beau conseil qu’il m’ait donné. Il m’avait écrit un petit rôle dans Alexandre le bienheureux car lui le premier a perçu en moi des choses que j’ignorais moi-même. Un peu comme un manager dirait en voyant un apprenti boxeur, lui, il sera champion du monde. Il m’a donc écrit ce petit rôle et m’a dit un jour où on marchait le long d’une voie ferrée: «Tu n’as aucune place dans le cinéma français. Tu n’es pas un jeune premier classique, et tu n’es pas une rondeur.» Je ne pouvais ni être Jean-Pierre Cassel, Jean-Claude Brialy ou Terzieff, ni Bernard Blier ou Jean Gabin. Il m’a dit «Crée ton cinéma toi-même. Impose ton univers et crée ton personnage.» Un an et demi après j’ai été le voir avec un scénario nommé Le Distrait. Je lui ai dit «Tu te souviens de ton conseil. Et bien voilà…» Il était d’accord si j’arrivais à convaincre Gaumont, donc Alain Poiré. Vous connaissez la suite.

Par rapport au Distrait, il n’y a pas eu de problèmes de censure à l’époque, avec notamment les chasseurs qui s’entretuent dans la pub?
Pierre Richard: Non aucun. Mais je crois que je n’en ai pas eu justement parce qu’on ne m’a pas vu venir. Ce qui de ce côté a été un avantage puisque ça m’a permis de le faire.

Veber dit que c’est à cause de lui que vous avez arrêté la réalisation.
Pierre Richard: C’est un peu vrai. Les critiques qui ont salué mon travail m’ont d’ailleurs reproché de ne pas avoir continué et de m’être par la suite vendu aux autres. C’est vrai que j’ai apporté mon personnage aux autres, et dans leur univers à eux, pas dans le mien. J’aurais pu effectivement continuer dans mon sillon, comme Tati qui n’a jamais joué dans les films des autres. Mais il faut aussi prendre en compte que je me faisais tellement taper dessus que j’étais content d’aller chez les autres. Et puis en fin de compte je peux difficilement regretter d’avoir fait Le Grand blond…, qui m’a donné une dimension même internationale. Je n’ai pas regretté La Moutarde me monte au nez, ni La Chèvre.

Pensez-vous revenir à la réalisation dans un futur proche?
Pierre Richard: Dans mon dernier film, je me suis trompé moi.

Vous parlez de Droit dans le mur.
Pierre Richard: Oui, ce film est un échec et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Pas au niveau de la mise en scène ou des acteurs, car j’avais des acteurs merveilleux. Le problème se trouvait dans le scénario et l’univers du film. J’avais oublié deux, trois choses essentielles qui me caractérisaient. J’avais oublié le burlesque, la dénonciation. C’était beaucoup plus narcissique, autour d’un personnage.

Était-ce pour casser votre image ?
Pierre Richard: Non, même pas.

Pourtant, vous avez à ce moment-là sciemment tué votre personnage.
Pierre Richard: Oui en effet. Et je me suis mis à partir de là à faire des films plus dramatiques, comme La Partie d’échecs par exemple. Il se trouve que j’avais vraiment envie de prendre cette direction. Finalement je vais là où j’ai envie, simplement. Je n’avais plus envie de faire ce que je faisais et j’ai donc été ailleurs. Je n’ai jamais fait quelque chose contre mon envie. Une fois j’ai dit à un producteur que je ne jouerais pas dans son film car j’aurais l’impression d’aller à l’usine tous les jours. Il m’a répondu qu’à ce prix-là on peut aller à l’usine, et je lui ai rétorqué pas moi. Mais pour répondre à votre question, j’envisage en effet de réaliser à nouveau et de retourner d’une manière délibérée à mes premières amours. Je pense, même à mon âge, pouvoir retrouver les vertus corrosives de mon personnage, 50% de ma souplesse – comme j’étais très très souple, 50% ça va encore – et bien sûr le sens du gag. En tout cas, j’ai retrouvé cette envie.

Pour parler des choses qui fâchent, vous êtes-vous amusé sur le tournage de Droit dans le mur?
Pierre Richard: (il sourit) Et bien justement, pas trop. J’étais tendu, anxieux. On peut dire que je l’ai vu venir le coup du mur. Mais une fois que j’étais lancé, je n’allais pas dire au bout de quinze jours, on arrête ! Peut-être que j’aurais dû.

Pourquoi avoir refusé de tourner L’aile ou la cuisse avec De Funès ?
Pierre Richard: J’aurais adoré jouer avec De Funès, d’autant qu’il m’aimait bien. J’avais déjà pas mal parlé du scénario avec Zidi au début du projet, et ça me plaisait beaucoup. Et puis un mois et demi avant, j’ai été déçu par mon rôle. Maintenant je regrette d’avoir refusé car j’aurais aimé tourné avec De Funès et l’occasion ne s’est plus présentée. Mais sur le moment, je reviens à ce que je disais tout à l’heure, j’ai senti que si j’acceptais, j’aurais eu l’impression d’aller à l’usine. Et Dieu sait que j’avais envie de tourner avec De Funès! Mais si le rôle ne me dit rien, je ne peux pas, même si c’est un coup commercial énorme. La preuve que j’ai eu raison, c’est que si Coluche a pu le faire, c’est que ce n’était pas vraiment pour moi,car on a quand même deux univers très différents.

Pourtant, De Funès, du moins au départ, aurait sans doute préféré tourner avec vous, car il ne se sentait pas vraiment proche d’un Coluche qui incarnait la nouvelle génération.
Pierre Richard: C’est possible. En tout cas, Louis m’a téléphoné et m’a demandé pourquoi je refusais. Je lui ai répondu que je me faisais une joie de tourner avec lui, mais que je ne voulais pas interpréter ce rôle. Et il me dit «ah bon, le scénario est mauvais?» Là, je me suis dis qu’il n’avait pas dû le lire. Parce que lui, il savait qu’il se débrouillerait toujours, quel que soit la qualité de la scène, grâce à son talent énorme. Moi je n’avais pas cette faculté. Pour faire rire, j’ai besoin d’une situation. Je ne suis pas capable de lire le bottin en faisant rire. Certains comédiens en sont capables, comme Darry Cowl ou Galabru. Moi, j’ai besoin d’un support. Je ne suis pas exactement un acteur comique. Je me situe plus du côté de Tati, Chaplin ou Keaton. J’ai plus le sens de la gestuelle que du dialogue.

Avec quels réalisateurs avez-vous eu le plus d’affinités? On sait par exemple que Francis Veber a la réputation d’être très dur…
Pierre Richard: Il paraît que certains acteurs s’entendent difficilement avec Francis en effet. Moi, faire 15 ou 20 prises, cela ne me stressait pas. Mais ce n’est pas le cas de tous les acteurs. Francis veut une partition exacte, du Bach. S’il y a une virgule, ce n’est pas un point-virgule, ni un point. Donc il ne faut pas s’y arrêter. Certains font fi de la virgule ou du point, et il leur demande donc de recommencer. Ca ne me gênait pas trop personnellement. Je trouvais Francis très agréable. Sinon, j’ai aimé tous les metteurs en scène avec qui j’ai tourné, d’abord parce que s’ils me prenaient, c’est qu’ils m’aimaient. Je n’ai jamais eu de conflit avec un metteur en scène.

Même avec Lautner, sur un film risqué à l’époque, On aura tout vu, qui à la base devait s’appeler Parlez-moi d’amour.
Pierre Richard: Ah oui? Je ne connaissais pas l’histoire du changement de titre. En tout cas, il s’agissait d’un scénario de Francis, avec les qualités inhérentes. Des situations très drôles. Je me suis très bien entendu avec Georges et il avait une manière de tourner qui me plaisait. Par exemple, il disait à Miou Miou, ça ce sera votre chambre, donc amenez-y vos affaires, pour vous sentir comme chez vous. Et puis il n’était pas directif. Il préférait dire, « jouez-moi la scène ». Et là, tout le monde sortait. Georges regardait la scène comme on voulait la jouer avec Miou Miou. Ensuite il plaçait les caméras en fonction de ce qu’on avait fait. J’adorais ça. Ce film méritait peut-être encore mieux que le succès qu’il a eu. C’est quand même autour des films pornos, et moi j’étais habitué aux films familiaux, il y a donc eu plus de réticence de la part du public, qui s’est dit là on ne va pas emmener le petit.

Des films où vous avez eu le rôle principal, lequel préférez-vous ?
Pierre Richard: J’ai une affection particulière pour Le Grand blond… car c’est celui qui a lancé ma carrière internationale. Ce film, encore aujourd’hui, passe partout dans le monde. J’ai entendu le thème musical dans le bar d’un hôtel en Ouzbékistan! J’ai une grande tendresse pour ce film, mais aussi pour ceux de Francis (Veber), pour La Moutarde me monte au nez. C’est dur de départager.

Vous ne citez aucune de vos réalisations?
Pierre Richard: Non car je suis trop autocritique. Maintenant je m’aperçois à la lueur des analyses des jeunes critiques que j’ai fait du bon travail. Quoique pour moi c’était un amusement, pas du travail. Je m’amusais à écrire, à tourner, j’adorais monter… C’était vraiment une énorme récréation.

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