[EUPHORIA] SÉRIE MELANCHOLIA

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A priori, sur le papier, il y a tout ce qu’on déteste dans la série Euphoria (le côté Les lois de l’attraction pour attardés, la pose, la frime), grosse erreur: c’est absolument dément. Beau, dark, virtuose, ultra-sensible de partout, en avance sur tout. In-dis-pen-sa-ble.

On vous l’avait dit avec Years & Years : HBO a décidé de ruiner notre été… ou de le rendre meilleur, selon le spectre dans lequel on se situe. Avec Euphoria, la chaîne pond son premier teen drama en presque trente ans, remake d’une série israélienne à peine sortie de son pays et réponse vengeresse aux séries ado de Netflix (les très pénibles Riverdale et 13 reasons why, et plus récemment le sympathique Sex Education). Une série d’adolescents interdite aux adolescents, et fortement déconseillée à tous parents anxieux. Cette revanche à la sulfateuse s’organise grâce à Drake et Future the Prince à la production, et surtout Sam Levinson aux commandes, qui avait créé la surprise l’année dernière avec le très woke et incisif Assassination Nation. Il n’est pas donc impossible de voir double avec un cadre et des situations évoquant le film sus-cité, le côté bis en moins, comme si le long-métrage préparait déjà le terrain de la série. Mais vis à vis de son alter-ego filmique, le style de la série, dopée aux amphétamines, met les bouchées doubles : dès le premier épisode, on sent un bonhomme ayant grandi en regardant en boucle Trainspotting, Requiem for a dream et Fight Club. On pensait ce rapport frénétique et hallucinogène à la mise en scène passé de mode en 2019, on a un peu peur, et on frémit d’autant face aux enjeux très radicaux de la série: Zendaya, égérie disneychanelliene en métamorphose – comme le furent ses camarades Miley Cyrus ou Vanessa Hudgens – endosse les sweats trop larges de Rue, narratrice déchue et corps principal du show, alors une ado de 17 ans en pleine desintox.

Dans les années 80, les teen movie de John Hugues flottaient dans l’insouciance avant de laisser apparaître quelques stases mélancoliques : Euphoria serait plutôt l’inverse, un trou noir où l’on cherche les fuites de lumières. Démonstrative, écrasante, volontiers anxiogène et virtuose : la proposition d’Euphoria ne fait pas dans la dentelle et la séduction n’opérera pas immédiatement pour tout le monde… ou n’opérera pas du tout. Il faut en effet un peu de temps avant que l’attachement se crée, avant que tout ce petit monde trouve enfin grâce: au fil des épisodes, chaque personnage se voit dresser un profil psychologique qui amène à mieux les comprendre, et à cerner enfin l’envers du décor. Représentant pour beaucoup l’épiphanie de la saison, l’épisode 4, avec son chassé-croisé dans un parc d’attraction synthétise à merveille l’énergie, tant dramatique que visuelle, du show. Car si Euphoria y va à fond dans ses effets, son efficacité a le mérite d’être toute effective. Il y a un peu du Araki sans le glow et la dérision (en gros, période Mysterious Skin) et du Larry Clark sans le côté documentaire/à vif mais avec la même crudité (HBO s’est lâché sur la nudité frontale masculine, cet énorme tabou américain): une alliance entre le réel qui tape et l’irréel qui sidère.

Car oui, Euphoria compose sa propre esthétique, comme si les néons et les fumées 80’s avaient été siphonnés dans une mixture dark, avec des silhouettes saturées empruntées à Petra Collins et des nuits à la Gregory Crewdson. Macérée très vite dans le bain numérique, marquée par le sceau du 11 Septembre et souvent moquée, la génération Z est scrutée sous toutes ses coutures, avec un regard porté avant tout sur le féminin. Il y a beaucoup de plaisir de voir enfin des personnages comme Jules, jeune fille trans radieuse, ou comme Kat, incarnée par la sublime Barbie Ferreira, la «grosse» du groupe qu’on invisibilise de circonstance, et qui va connaître une spectaculaire émancipation sexuelle, mais aussi beaucoup de tristesse avec le parcours de Cassie, la «princesse» dont la beauté et la candeur vont la conduire dans les griffes du slutshaming. Sous les liners somptueux et les paillettes: les larmes. Sans démagogie, Levinson égratigne les mécanismes sexistes, explore sans ambages la toxicomanie, la dépression, l’homophobie ou les violences conjugales. Le footballeur playboy, autrefois le rêve, l’achievement, le brave gars, est devenu un psychopathe terrifiant, un Patrick Bateman en puissance qui a des problèmes dans son boxer. Les parents, qui étaient justement les ados qui s’égosillaient dans les années 80, n’ont certes pas de sous-intrigue mais leur présence irrigue toute l’inquiétude, la désillusion et les frustrations à venir, comme le personnage d’Eric Dane, ex sex-symbol de Grey’s Anatomy ici en Daddy flingué sautant des ado dans des chambres de motels. C’est certain, Euphoria fait beaucoup de mal par là où il passe, allant jusqu’à se conclure sur une transe incroyable qui a oublié ce que le mot happy-end voulait dire. Masos qu’on est, on en redemande.

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