[CRITIQUE] ZERO DARK THIRTY de Kathryn Bigelow

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Dans « Démineurs », bombe à retardement qui avait bousculé les doxas Hollywoodiens, Kathryn Bigelow choisissait un angle audacieux pour traiter de la Guerre en Irak, en se focalisant sur une unité d’élite de démineurs volontaires de l’armée Américaine. Le film avait déjoué tous les pronostics en battant « Avatar » de James Cameron lors de la cérémonie des Oscars en 2010 – Kathryn Bigelow devenant ainsi la première femme Oscarisée de l’histoire. « Zero Dark Thirty », son nouveau long métrage, traite d’un sujet controversé : la traque et l’exécution de Oussama Ben Laden.
Le programme a le mérite d’être clair. Bigelow travaillait dessus depuis des années, avant même le succès de « Démineurs ». Rien n’a été laissé au hasard et elle a parfaitement réfléchi au traitement, aux lieux, aux circonvolutions géographiques. Ce n’est pas un hasard si « Zero Dark Thirty » fait référence aux différentes administrations (Clinton, Bush Jr, Obama), de même qu’à la coopération entre le Département de la Défense et la C.I.A. Comme souvent, Bigelow fait confiance à son scénariste, en l’occurrence Mark Boal, déjà celui de « Démineurs ».
Au moment de l’écriture, la traque de Ben Laden n’avait pas été menée à terme. Ainsi, Boal a dû réécrire la dernière partie pour intégrer les événements récents. Bigelow et lui ont tenté autant que possible de limiter les écueils du genre film dossier (le didactisme, le propagandisme, les messages clignotants) et toute polémique, toute tentative de récupération politique, toute idéologie douteuse. D’autant que le sujet demeure toujours aussi propice aux théories du complot. C’est sans doute pour cette raison que le film est sec, clair et limpide dans son déroulement.
« Zero Dark Thirty » n’est même pas encore sorti en salles qu’il a déjà suscité des polémiques : pendant le tournage à Chandigarh, des extrémistes nationalistes hindous ont envahi le plateau. Plus tard, le parlementaire républicain Peter T. King a voulu ouvrir une enquête sur la manière dont Bigelow et Boal ont eu accès aux documents confidentiels. Enfin, les Républicains ont soupçonné « Zero Dark Thirty » de faire la promotion de Barack Obama – ce qui explique pourquoi le film sort aussi tard. D’aucuns risquent de commettre hâtivement quelques parallèles avec la série « Homeland » pour les arcanes de la CIA et un personnage féminin obnubilée par sa quête. Or le résultat s’impose presque comme une antithèse dans le sens où il récuse la psychologie, abhorre le psychologisme, mise sur le physique. Très loin des surenchères et des codes de l’entertainment, il sonde une certaine réalité contemporaine.
Jessica Chastain interprète une analyste de la CIA ayant joué un rôle majeur dans la traque et la mort du chef d’Al Qaïda. C’est elle qui a réussi à convaincre son administration que Ben Laden se réfugiait au Pakistan. A travers elle, « Zero Dark Thirty », à l’origine intitulé « Kill Ben Laden », permet à Bigelow de renouer avec ses deux sujets de prédilection (l’addiction et l’obsession) et pose la question du risque, de l’engagement, des conséquences dans une existence. L’héroïne a fait une croix sur sa vie sentimentale et ses amis disparaissent ; c’est aussi pour eux qu’elle poursuit le job. L’ambiguïté réside finalement dans ce point de vue de femme évoluant dans un univers masculin : comment arrive-t-elle à s’imposer lors d’interrogatoires musclés, à ne pas se laisser déstabiliser ? Un point de vue que Kathryn Bigelow comprend d’autant mieux qu’elle a toujours réalisé des films virils (les bikers dans « The Loveless », les vampires dans « Aux Frontières de l’aube », les surfeurs dans « Point Break » etc.), envers et contre tous.
« Zero Dark Thirty », objet cathartique, majeur et essentiel pour les Etats-Unis, ne prétend pas reproduire la réalité. Bien au contraire : il mise sur l’immersion du spectateur, notamment dans une dernière demi-heure angoissante, et le laisse libre de choisir l’option qu’il souhaite sur ce qu’il voit, ou croit voir. Surtout, et c’est en cela qu’au-delà de ce que l’on en pense, il fait date, le film ose questionner la notion d’héroïsme et montrer ce que des hommes, par patriotisme, par conviction, par sacrifice, par embrigadement ou par honneur, sont capables de faire au nom des Etats-Unis. Pas nécessairement pour le meilleur.
NOS NOTES ...
Romain Le Vern
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