[CRITIQUE] UNE ADOLESCENTE de Eiji Okuda

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Tomokawa est un flic qui passe son temps à retrouver les chiens volés pour les rendre avec une belle ardeur aux jeunes femmes célibataires qui s’ennuient. Un jour, alors qu’il sommeillait tranquillement dans un bar, Yoko, une adolescente de quinze ans, le réveille et se dit fascinée par son tatouage. Elle lui propose de faire l’amour, il accepte. Ils vont ensemble dans une chambre d’hôtel et y passent la nuit. Le lendemain, la jeune fille disparaît : le flic en est déboussolé et n’a plus qu’une seule idée en tête : la retrouver. Mais qui est réellement Yoko ? Est-ce que Tomokawa la connaît suffisamment ? Est-ce qu’il parviendra à découvrir qui elle est réellement ?

Une adolescente n’est pas la première fiction à mettre en scène une relation amoureuse entre un homme et une fille mineure (de La Fille à Lolita). Pour autant, même si on a l’impression d’être en territoire balisé, on est constamment sous le choc (et évidemment sous le charme) de cette histoire d’amour pas comme les autres, à la fois folle, passionnelle et terrible qui va bouleverser le vie peu folichonne de deux êtres qui ont passés leur temps à se chercher et s’attendre.

Tout commence avec la description du flic qui passe son temps à rouler sur sa bicyclette à la recherche des chiens qu’on a volés. Accessoirement, il a parfois des aventures avec les clientes. Un jour, alors qu’il est en train de roupiller sous son journal, un visage angélique vient l’accueillir. En un simple regard, le cinéaste, qui est également l’acteur principal du film, enregistre le désir et capte les petits riens qui font les grands touts. Par la suite, toute la relation entre ces deux-là sera placée sous le signe de la sensualité et de l’érotisme. La mise en scène, fluide et chaleureuse, confère un ton frivole au film alors que les sujets qu’il aborde sont tout sauf légers.

L’une des images les plus mémorables du film demeure cette première fois dans la chambre d’hôtel où maladroitement, les personnages essayent de se connaître. L’homme trempe alors son doigt dans la bouche de la jeune adolescente à plusieurs reprises. C’est par ce premier geste que les deux amants commenceront à se connaître. Passé cette séquence, le film finit par errer ailleurs, laisse en suspens la question du désir pour la reprendre plus tard et s’intéresse à ces deux personnages qui sont diamétralement opposés mais pourtant irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Le fait que le film prenne le parti de dérouter et de raconter d’autres histoires est en réalité une excellente façon pour le spectateur de s’acclimater et de mieux connaître les personnalités. Le personnage du mac fan de Jimi Hendrix est en fait un élément du scénario qui permet au cinéaste de rassembler les deux personnages alors séparés mais aussi d’évoquer la prostitution dans ce qu’elle a de plus sordide.

De cette façon un rien déconcertante de ne pas céder à la facilité, le cinéaste s’en sort dignement et reconstruit son puzzle jusqu’au bout même s’il y a beaucoup de personnages dotés de sérieux traumatismes (l’exemple le plus probant demeure celui du frère qui, ayant été profondément marqué par ce qu’il a vu enfant, ne s’en est jamais remis…). En faussant les pistes et en musardant là où il ne devrait pas toujours, il installe paradoxalement un étonnant climat dans lequel le mystère rôde et où les non-dits ont leur importance.

C’est également ainsi qu’on finit par en savoir plus sur la personnalité de Yoko, fille dont la vie ne fut pas qu’une succession d’événements heureux (abusée par un beau-père dont la gentillesse est trop appuyée pour être honnête, marquée par la perte tragique de son père et délaissée par une mère indigne). Mystérieuse au départ, on comprend au fil de l’intrigue ce que la jeune fille cherche et compte bien trouver. Contrairement à une Asami qui, dans Audition de Takashi Miike, va se servir de ses charmes pour piéger et assouvir une terrible vengeance, Yoko tente de trouver une personne qui puisse l’aimer dans un monde âpre et inadmissible.

Pour elle, et comme pour la plupart des adolescents à cet âge-là, l’amour est une question de vie ou de mort. C’est d’ailleurs ce qui explique sa réaction dans ce qui demeure comme la scène la plus sublime du film : lorsqu’elle se jette habillée dans le bain de Tomokawa pour lui hurler son amour alors que celui-ci semble se refuser à elle. Une adolescente est, comme son titre l’indique, également un grand film sur l’adolescence et nous donne à voir lesdits amours adolescentes sous un angle à la fois réaliste et cru, aux antipodes des histoires à l’eau de rose simplistes où les figures confinent le plus fréquemment aux tristes archétypes.

La richesse thématique (le poids de la culpabilité, les histoires d’amour qui ne sont jamais réellement finies, la recherche de la personne idéale…) permet au film de ne jamais tomber dans l’écueil de la niaiserie ou la banale comédie romantique. Pour autant, Une adolescente n’est pas un film qui se prend au sérieux et sait par intermittences être fantaisiste avec les digressions absurdo-comiques qui lui apportent une originalité bienvenue (comme lors de cette scène où le frère attardé de Yoko décore son vélo avec des guirlandes électriques…). En second plan, le film s’intéresse à la fonction du tatouage et à sa signification. Loin d’être un effet de mode, il est plus à prendre comme l’expression d’un amour infini. C’est la leçon qu’essaye d’inculquer le grand-père de Yoko à sa petite fille qui, au départ rétive, finit par comprendre l’importance de cet art. Ce sera une manière pour Yoko de prouver son amour à Tomokawa.

De (très) mauvaise humeur, on pourrait reprocher au cinéaste de trop s’attarder sur les personnages secondaires qui viennent par moments un peu trop complexifier la situation. Mais c’est de cette façon qu’il rend plus vibrante l’histoire d’amour entre Yoko et Tomokawa. Les passages dans lesquels les deux personnages principaux se retrouvent seuls à l’écran sont placides et font contrepoids avec la fureur et l’hystérie de l’extérieur (incarnées par le personnage de la mère, vénale et insupportable d’égoïsme).

Rien n’aurait été pareil, ni d’une telle force, si l’interprétation d’ensemble n’avait pas été d’aussi bonne facture. A la fois devant et derrière la caméra, Eiji Okuda est impeccablement sobre en flic alcoolique et désabusé qui ne sait plus très bien où il en est. Quant à Mayu Ozawa, c’est la véritable révélation du film. Dans ce rôle d’adolescente prête à tout par amour, elle parvient avec un brio singulier à retranscrire la fièvre qui possède son personnage. Mais, au-delà d’une simple affaire de grands rôles, c’est surtout l’histoire d’amour en elle-même qui est bouleversante. Elle nous montre deux personnages, seuls contre tous, a priori banals et finalement marginaux, qui ont compris que c’est grâce à l’amour qu’ils peuvent transformer leurs quotidiens moroses en grands moments d’extase.

NOS NOTES ...
Paimon Fox
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