[CRITIQUE] THE GRUDGE 2 de Takashi Shimizu

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On reprend les mêmes et on recommence ? Pas exactement. A Tokyo, une jeune femme (Amber Tamblyn) est pourchassée par la mystérieuse malédiction qui avait affligé quelques années plus tôt sa soeur Karen (Sarah Michelle Gellar). Mais cette fois, les victimes se sont rassemblées pour percer son mystère et s’en libérer à jamais. L’horreur bègue selon Takashi Shimizu envahit les écrans hexagonaux pour Noël.

The Grudge 2 ne serait qu’une vulgaire série B comme on en a déjà (trop) vue si elle n’était pas signée Takashi Shimizu, cinéaste qui entre sans peine dans le Guinness des records pour avoir filmé le plus souvent le même scénario. Un exploit qui ne semble pas contrarier le studio pour lequel il travaille (Columbia Pictures). Si M. Night Shyamalan a récemment remis en question sa mécanique fantastique (le terriblement sous-estimé La jeune fille de l’eau, où l’auteur n’arrivait plus à croire aux vertus de sa fable fantastique et laissait apparaître sa détresse d’artiste incompris), c’est en partie à cause de films comme The Grudge 2 qui instillent dans une trame alambiquée une bonne dose de distanciation cynique. Shimizu est, lui, un malin pervers qui ne revendique à aucun moment l’honnêteté de ses bonnes intentions : faire peur, oui, mais à quel prix ? Faut-il aller au-delà de ce qu’on nous montre et de ce qui se profile dans la profondeur de champ ? Entre efficacité et roublardise, on peut y voir un film d’horreur malade. Mais, si on n’est pas d’humeur, l’exercice devient lent, décousu, laborieux et vain.

The Grudge 2 commence par le segment qui manquait au The Grudge 1 par rapport à l’original nippon Ju-On : les trois adolescentes téméraires et manipulatrices qui pénètrent dans la maison hantée. Ce passage sert à effectuer un lien entre les deux volets et assurer un semblant d’intégrité. Comme il ne change pas une formule prospère, Shimizu re-exploite tous les éléments horrifiques de The Grudge (miaulements de chats, enfant blafard, fantôme aux cheveux longs) en taille XXL d’autant que l’intrigue (une famille débarque dans une nouvelle maison : un père, une belle-mère et un fiston) repose sur un canevas assimilé. Ce petit manège des horreurs, seule manifestation de la virtuosité de Shimizu, ne fonctionne qu’avec l’adhésion du spectateur sans que l’on soit obligé d’y être sensible. Géographiquement, le cinéaste frappe plus fort qu’Inárritu sur Babel : il alterne le Japon, la Californie, Chicago en brouillant les repères spatio-temporels. La structure fragmentée, proche du film à sketches, ne sert qu’un message simpliste sur la déshumanisation de la société (tous les personnages du film sont éloignés, en proie à la même solitude, brouillés avec les membres de leur famille). Fort de cette densité qui accentue le vertige, Shimizu cherche une nouvelle fois à perdre les personnages (et ainsi les acteurs) américains dans un univers japonais profane. Comme dans le premier, les acteurs japonais sont idéalement mis en avant et tirent profit de situations convenues. Par chance pour les producteurs, le réalisateur nippon ne possède pas la patte féroce d’un Sono Sion qui se revendique clairement comme un émule de Verhoeven et qui comme le Hollandais violent rêverait d’aller tourner aux Etats-Unis pour se foutre de la gueule du public américain et triturer le système de l’intérieur. Or, sous couvert d’expérimentation, avec sa façon de ne pas y toucher, Shimizu continue de berner Raimi avec un art de cultiver l’escroquerie qui force l’admiration.

Sarah Michelle Gellar, que Shimizu a conservé du premier opus pour l’accroche marketing, apparaît aussitôt qu’elle disparaît dans un rôle parodique (son personnage n’est pas sans évoquer Jamie Lee Curtis dans Halloween 2). Au premier degré, elle est surtout présente pour donner envie au public d’assister à un clash Sadako-Buffy. Même Ryo Ishibashi apparaît à travers un témoignage vidéo en forme de cameo afin que le grand public le reconnaisse et ne retienne pas que de lui ses prestations dans Audition et Suicide Club. Quand il est à court de ses propres idées, Shimizu se fend de clins d’oeil à Nakata (le visionnage de la vidéo où le fantôme pénètre simultanément dans l’appartement, le passé qui remonte à la surface lorsque un personnage touche le bras de l’autre), d’éclairs expérimentaux (certains éléments sont placés au début du film pour que le spectateur rassemble tout lors du dénouement), d’une référence à Shining (la scène dans la salle de bains, les couloirs profonds et sombres) et deux trois révélations mélodramatiques superflues.

Dans le flux, on retrouve une histoire qui lorgne ouvertement du côté de Carrie avec mal-être adolescent, demoiselle fâchée avec ses visions obscures, consultation chez le psy, réputation de freak au bahut et passage obligatoire dans le vestiaire comme naguère Carrie se faisait humilier dans la scène d’ouverture du De Palma. Les flash-back explicatifs en noir et blanc sont repris des premiers Ju-on et la profusion de rebondissements vers la fin servent à apporter une cohérence entre les montages parallèles.

A travers ce dispositif lourdingue et casse-tête, Shimizu espère donner toutes les clés de son mystère. Lorsque l’on relie les histoires entre elles, l’ensemble prend forme mais ce n’est pas le jeu inexpressif des acteurs qui pousse à la compréhension. A travers des personnages américains incapables de se fondre dans le moule japonais qui conservent des séquelles de leur voyage nippon, Shimizu souligne par le plaisir fermé de la convention son inaptitude à se mouler dans le système US. Autant le premier The Grudge faisait illusion avec un sens aigu de l’atmosphère et une faculté à créer une entité maléfique qui s’exprimait à la périphérie du cadre; autant là, même ceux qui adulent le tempérament frondeur du réalisateur, qui ont soutenu l’indéfendable Marebito envers et contre tous et qui aiment l’ironie nichée dans les grosses productions doivent se rendre à l’évidence : The Grudge 2 est un grand vide faussement plein. On se consolera avec la seule vraie trace corrosive du film, déjà visible dans The Ring 2, d’Hideo Nakata : pour contrecarrer les attentes horrifiques US, Nakata avait signé avec The Ring 2 un élégant mélodrame dont la sérénité paradoxale était à mettre en opposition avec l’atmosphère malsaine de Ringu; là, Shimizu met son système à nu pour révéler une vacuité vertigineuse. Dans les deux cas, c’est le même affrontement de deux modes de cinéma (le premier, américain, basé sur l’explicitation benoîte; le second, nippon, sur la suggestion et la sensibilité artistique) et la même affirmation définitive qu’ils ne fonctionneront jamais ensemble.

NOS NOTES ...
Paimon Fox
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