[CRITIQUE] TAKE SHELTER de Jeff Nichols

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On a découvert Michael Shannon dans Bug, de William Friedkin (2006). Il y jouait un démon traumatisé et paranoïaque contaminant une femme esseulée (Ashley Judd) par amour. La love-story la plus destroy, la plus déraisonnable, la plus sublimement romantique vue au cinéma ces dernières années. Depuis, il semblait condamné tel un ange déchu aux rôles extrêmes : inoubliable en fou échappé de l’asile psychiatrique face au couple du Titanic réduit en cendres (Leonardo Di Caprio et Kate Winslet) dans Les Noces Rebelles, de Sam Mendès, idéal en gourou petit ami de Chloé Sevigny et fils de Grace Zabriskie dansMy Son, My Son, What Have Ye Done, de Werner Herzog. Ce serait oublier Shotgun Stories (2009), le précédent et premier long métrage de Jeff Nichols, dans lequel il jouait en toute sobriété un mec au dos criblé de balles, pris dans la tourmente familiale et soumis à la fatalité de la vengeance. En dépit des apparences et d’un genre nouveau, le sujet de Take Shelter se révèle quasiment identique : un ouvrier taraudé par des visions apocalyptiques tente de protéger sa famille d’une catastrophe qu’il prémédite dans ses cauchemars. Si Shannon multiplie les efforts surhumains pour isoler les siens de toutes les menaces, quitte à les parquer de force dans un abri anti-tornade, jamais il ne s’en prendra à sa femme dont la raison le sauve (Jessica Chastain, la révélation de The Tree of Life, de Terrence Malick) ou à sa petite fille sourde-muette, dont la fragilité – le regard déçu, le visage triste – le bouleverse. Ses intentions sont bonnes, aux antipodes de l’autodestruction. Arguer que Shannon répète la même performance de Bug dans Take Shelter est donc une aberration.

Après avoir désamorcé ce malentendu, on peut entrer dans le vif du sujet : Take Shelter est l’un des plus beaux films de fin du monde, quelques mois aprèsMelancholia, de Lars Von Trier et Le cheval de Turin, de Béla Tarr, dont le thème central s’avère extrêmement contemporain : l’effondrement d’un univers familier en temps de crise. A aucun moment, il ne prête le flanc à la surinterprétation théorique. Mieux vaut oublier tout de suite la dimension politique (la sempiternelle parabole post-11 septembre) qui aurait considérablement alourdi l’ensemble pour se focaliser sur la peur universelle de se perdre, sur la menace potentielle d’une force dévastatrice contre laquelle personne ne pourra rien, sur les visions effrayantes d’oiseaux égarés dans le ciel, la pluie jaune et les éclairs proleptiques. S’y expriment les terreurs adolescentes que l’on pensait enfouies et qui poursuivent une fois devenu adulte, le Mad World de Tears For Fears comme une réminiscence lointaine qui se déploie sous nos yeux («Tout autour de moi, des visages familiers ; Leurs larmes remplissent leurs yeux ; Pas d’expression ; Je cache ma tête, je veux noyer mon chagrin ; Pas de lendemain ; Les rêves dans lesquels je meurs ; Sont les meilleurs j’ai jamais eus») et l’angoisse de décevoir, de ne pas se reconstruire. Shannon regarde l’horreur de sa nuit noire avec une calme détermination. A chaque scène – onirique ou pas, Nichols lui donne raison, l’accompagne avec une empathie dont le réalisateur de L’exorciste n’aurait jamais été capable et organise des images qui font croire en l’incroyable.

NOS NOTES ...
Romain Le Vern
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