[CRITIQUE] RED de Trygve Allister Diesen & Lucky McKee

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Red, c’est le nouveau long métrage « co-réalisé » par Lucky McKee. On dit bien « co-réalisé » car le réalisateur de May a été viré au bout de quelques semaines de tournage par la production (avec laquelle il avait soi-disant une divergence artistique) et n’a manifestement pas pu retirer son nom du générique. C’est la seconde fois qu’il connaît des problèmes après The Woods, son film fantastique référentiel où une adolescente se perdait dans les bois de Dario Argento et dans lequel toutes les séquences trop gores étaient passées sous le hachoir de la censure. Ce Red se veut moins personnel (on n’y retrouve aucun de ses thèmes habituels) et doit plus se voir comme un projet de commande aux vertus rémunératrices. Tant que le travail est bien exécuté, why not ? Hélas, la mauvaise ambiance qui régnait pendant le tournage s’est répercutée sur le film, bancal par essence, qui ne ressemble plus beaucoup à un film de Lucky McKee. La division est simple : 30% ressemble au réalisateur de May et 70% appartient au second cinéaste, Trygve Allister Diesen, qui fait ce qu’il peut pour sauver les meubles. Il ne faut pas s’étonner alors si Red avance comme un animal auquel on aurait coupé les deux jambes.

Un vieil homme solitaire (Brian Cox) vit avec son chien dans une maison de campagne. Ce chien, qui s’appelle Red, est sa seule raison de vivre et la seule chose au monde qui le rattache à sa femme défunte. Alors qu’il pèche au bord de l’eau, sa quiétude est agressée par trois adolescents désœuvrés. L’un d’eux sort un fusil et plombe le chien sous les yeux traumatisés de son maître. Sous le choc, il est bien décidé à retrouver les jeunes responsables pour leur faire payer. Oui mais comment ? S’ensuit une lente descente aux enfers qui va prendre des proportions inouïes dans la petite bourgade jusque là paisible. D’un bout à l’autre, Red fonctionne sur un rythme inerte, étrangement atone, comme endormi alors qu’il est censé se dérouler des événements intenses. Mais cette torpeur est moins un effet de style ou une volonté de minorer le suspense pour jouer la carte de la sobriété stylistique que le fruit d’une incompatibilité entre un cinéaste trop radical (Lucky McKee) et ses producteurs trop exigeants, bien décidés à ce que ce dernier respecte le cahier des charges.

On ne peut pas s’empêcher de regarder Red sans penser à tout ce qui s’est passé en interne, en espérant néanmoins sauver quelques restes, comme ces beaux fondus au rouge. Pour cela, il faut se rattacher au casting. Brian Cox, acteur brillantissime, lui-même coproducteur de Red (il serait intéressant de savoir comment il est intervenu dans cette affaire de divergence artistique et s’il a soutenu McKee ou pas), donne une vraie consistance à son personnage de papy cowboy cabossé qui se complait aveuglément dans une vengeance pour sauver l’honneur de son chien et à travers lui tout ce qu’il incarne (le reste de sa famille, décimée par les vicissitudes). Une longue scène de confession où tout un pan de vie est résumé à travers un monologue éclaircit les motivations jusqu’au-boutistes de cet homme. Mais dès lors que l’on sort de ce portrait, les autres caractères n’ont pas de place pour exister et les acteurs ne peuvent pas les défendre même s’ils sont excellents. Tom Sizemore était idéal en père de famille flippant et lâchement cossu qui préfère défendre sa tribu (quitte à user de moyens douteux) plutôt que d’admettre la vérité. A l’écran, il n’a que quelques réparties banales à balancer derrière un bureau.
Robert Englund (Freddy) et Amanda Plummer formaient eux aussi des parents névrosés assez excitants sur le papier mais à aucun moment, ils ne font avancer l’intrigue (on ne les voit que deux trois fois, derrière une porte). L’ambiguïté de leur couple n’est jamais développée. Et à coup sûr, l’idée de les réunir vient de McKee qui a toujours choisi les seconds rôles pour ce qu’ils incarnent dans un genre (James Duval, héros déchu des Gregg Araki dans May ou Bruce Campbell, fantôme revenu des Sam Raimi). Il y a fort à parier qu’Englund et Plummer étaient plus substantiels au départ mais qu’ils ont été élagués au montage. Idem pour Marcia Bennett, présente dans presque tous les Lucky McKee, qui ici dit juste deux trois phrases alors qu’il est clairement sous-entendu que son personnage entretient une relation intense avec le protagoniste. On se croirait devant les fondus de The Woods, en ressentant la même impression de gâchis. Evidemment, l’intrigue en devient totalement déstructurée, et pas nécessairement pour le meilleur.

Trygve Allister Diesen, yes-man norvégien venu de l’univers de la série télévisée, moins cinéphile que vendu, se résout à donner plus d’importance à la rumination intérieure du perso de Brian Cox et la relation amicale qu’il noue avec une jeune journaliste salvatrice mais impuissante face à la pression de ses supérieurs. Lui mise plus sur le classicisme que l’originalité et les références et ne donne pas de relief à la nouvelle de Jake Ketchum qui souffrait déjà de faiblesses dans l’écriture.

Est-ce une surprise ? Personne de l’équipe n’est venu au festival de Sitges pour défendre Red, juste voit-on dans le catalogue les photos des deux réalisateurs qui se chevauchent et une présentation vaguement hypocrite de la genèse d’un projet que tout le monde préfère oublier aujourd’hui. Le seul clin d’œil que Lucky McKee s’est permis de glisser à ses fans et qui est resté dans le montage final, c’est la scène dans la salle de cinéma où des gamins turbulents regardent un film sans faire attention à ce qui se déroule à l’écran. Il s’agit en fait de Roman, le long métrage qu’Angela Bettis a réalisé à partir d’un scénario de McKee et dans lequel il incarne le rôle titre. C’est toujours cela de pris, mais on peut sincèrement commencer à s’inquiéter pour Lucky McKee qui n’arrive plus à faire les films qu’il voudrait.

NOS NOTES ...
Paimon Fox
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