[CRITIQUE] LUCKY DAY de Roger Avary

0
7742

Avec son thriller burlesque Lucky Day, Roger Avary poursuit la trajectoire tracée il y a 25 ans avec Killing Zoe. Ceux qui savent apprécieront. Avant d’entrer dans le vif de Lucky Day, il est nécessaire de rappeler ses origines, à savoir Killing Zoe, sorti en 1994. A l’époque, la réputation de Roger Avary était en pleine ascension, mais elle était liée pour le meilleur et pour le pire à sa collaboration avec Quentin Tarantino sur True Romance, Reservoir Dogs et Pulp Fiction. Profitant d’une opportunité heureuse (la découverte d’un décor idéal pour un film de braquage de banque), Avary a sauté sur la chance de prouver sa capacité à écrire et réaliser un projet en toute autonomie. Partant du thème classique du couple en fuite, Avary a écrit un premier jet de Killing Zoe en 15 jours, et l’a ensuite enrichi d’éléments qu’il avait vécu personnellement au cours d’une nuit de folie à Paris. Alors qu’il était de passage entre deux avions, il avait fait la connaissance d’un noctambule nommé Eric Pascal Chaltiel, qui lui avait fait découvrir la ville (Pigalle, le bois de Boulogne…) et lui en avait montré davantage en une nuit que beaucoup de Parisiens n’ont l’occasion de voir en une vie. L’expérience avait largement inspiré les diverses étapes de l’équipée sauvage de Zed dans Killing Zoe. Incidemment, le vrai Chaltiel est crédité au générique du film où il apparaît dans le rôle d’un groom d’hôtel. Le résultat, bien qu’en partie occulté par la sortie la même année de Pulp Fiction, avait valu à Avary une reconnaissance suffisante pour lui inspirer une suite intitulée Lucky Day, en référence à un expression ironique prononcée à plusieurs reprises dans Killing Zoe. Zed et Zoe devaient se retrouver à Marrakech pour savourer leur liberté lorsque celle-ci était menacée par le frère d’Eric qui avait juré de les tuer.

Le projet est resté au frigo pendant des années jusqu’à ce que Samuel Hadida trouve l’opportunité de le réactiver. Avary l’a alors réécrit complètement, en tenant compte des expériences qui avaient éprouvé en profondeur le cours de sa propre vie. L’histoire est à présent centrée sur un taulard qui, à sa sortie de prison, essaie de refaire sa vie auprès de sa famille lorsqu’un tueur à gages le traque pour venger la mort de son frère. Cette fois, l’action a lieu à Los Angeles, Zed est devenu Red (mais il est toujours perceur de coffres) et Zoe s’appelle Chloe. Elle est artiste, française, et leur fille a appris le français lorsque Red était en prison. Quant au tueur, il s’appelle Luc Chaltiel en hommage au fêtard qui a converti Avary à la francophilie un quart de siècle plus tôt, mais il est aussi inspiré du loup de Tex Avery, qui portait dans Red hot riding hood un costard élégant et parlait avec l’accent français ! Même l’ancien associé de Red a changé son nom de Leroy à Le Roi depuis qu’il s’est rendu compte de ce que ça voulait dire. Sous des allures de cartoon, le thriller qui s’ensuit alterne délires visuels et dialogues virtuoses, ultra-violence et humour malin.

Avary profite aussi de multiples occasions pour régler ses comptes, d’abord avec le monde judiciaire, personnifié par un officier de liberté conditionnelle (Clifton Collins Jr.), dont la sévérité excessive est atténuée par un penchant improbable pour l’art contemporain, qui rend sa position ambiguë vis à vis de Red. Il y a aussi beaucoup de références à Quentin Tarantino, notamment à travers le personnage du galeriste narcissique et manipulateur joué par David Hewlett, qui semble avoir reçu pour instruction de se faire la tête de Tarantino, tandis que le rôle est écrit comme une version arty de Harvey Weinstein. Les critiques d’art en prennent aussi pour leur grade à l’occasion d’une vernissage qui dégénère lorsque le tueur intervient à l’arme automatique. A l’origine, il était question de confier le rôle de Chaltiel à Jean Dujardin, dont la présence au générique pouvait laisser augurer d’entrées confortables, selon une pure logique marketing. A la place, on a Crispin Glover, qui n’a peut-être pas le même pouvoir d’attraction au box-office, mais il propulse le film dans une autre dimension. Son rôle est celui d’un prédateur tous azimuts, froid, méticuleux, indestructible et sans limites, et Glover en profite à fond. S’il existait une échelle de démence, sa performance atteindrait la même hauteur que celle d’Anthony Wong dans Ebola Syndrome (Herman Yau, 1996).

Pour autant que le burlesque ne laisse aucune place à la sentimentalité, Avary s’est quand même autorisé une forme de mélancolie romantique assez touchante. Cette disposition se manifeste dans la volonté de Red de vivre le plus intensément possible sa vie de famille, qui a dû lui manquer cruellement lorsqu’il était en prison. Il y a chez lui une forme de frénésie à profiter du présent comme pour essayer de conjurer les dégâts causés par la privation de liberté, vécue comme une rupture irréparable avec un passé idéalisé. Depuis la musique, qui évoque une période comprise entre La balade sauvage (Terrence Malick, 1973) et True Romance (Tony Scott, 1993) en passant par Repo Man (Alex Cox, 1984), cette nostalgie se manifeste de façon plus ou moins explicite ou subliminale, mais elle imprègne tout le film. C’est sa principale qualité.

GÉRARD DELORME

NOS NOTES ...
Gérard Delorme
Article précédentIncriminé par Trump, privé de sortie… « The Hunt » fait polémique
Article suivant«A couteaux tirés»: viens jouer au Cluedo avec Rian Johnson et ses amis
critique-lucky-day-de-roger-avaryDate de sortie 18 septembre 2019 (1h 39min) / De Roger Avary / Avec Luke Bracey, Nina Dobrev, Crispin Glover / Genres Thriller, Action, Policier / Nationalités français, canadien

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici