« Come True » de Anthony Scott Burns: de quelle matière sont faits les rêves?

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Come true, second long-métrage de l’homme orchestre Anthony Scott Burns (il écrit, réalise, éclaire, monte, compose la musique et assure la direction artistique), disponible en VOD, suit une ado qui semble avoir de bonnes raisons de ne pas vouloir dormir chez sa mère. Souffrant de cauchemars récurrents, elle espère trouver un répit en s’inscrivant à un programme d’études du sommeil menées par un groupe de chercheurs. Rythmé par des séquences de rêve extrêmement impressionnantes et reposant sur la suggestion beaucoup plus que sur la représentation, le récit progresse de façon inattendue jusqu’à une conclusion qui invite à reconsidérer tout ce qu’on a vu sous un jour nouveau et pose cette question: comment fonctionnent les songes? Explications d’un spécialiste du langage des rêves.

Les rêves ont beau être, comme disait Cocteau, « la littérature du sommeil », ils n’en recèlent pas moins d’intenses surprises. « Ce que nous raconte le rêve n’est jamais à prendre au premier degré, ni même à relier à une situation présente », explique le spécialiste des rêves Tristan-Frédéric Moir, qui détaille le sens caché des rêves sur son site. « Ainsi, quand on rêve d’un animal, il convient de se reporter à sa signification onirique pour approfondir le sens de sa présence. Autrement dit, si vous avez pratiqué l’équitation le jour et que vous rêvez de cheval la nuit, vous allez très certainement être tenté de faire une connexion rêve-réalité alors qu’en réalité, il n’y en a pas. »

Pendant un rêve normal, nous pensons vivre les choses de façon réelle. Un rêveur lucide, lui, sait qu’il est en train de dormir. Selon une étude, 80 % de la population fait un rêve lucide au moins une fois dans sa vie, et même que certains en font toutes les semaines (environ 2 % de la population). Alors, ces « rêves lucides » existent-ils réellement? Selon le psychanalyste spécialiste du langage du rêve Tristan Moir, ça existe, oui. « Chacun y est confronté durant son sommeil. La plupart du temps, développe-t-il, ceux qui font des rêves lucides (qui sont donc conscients de rêver) se réveillent. Mais ils peuvent aussi être témoins passifs de leur rêve en le laissant se dérouler de lui-même, ou alors ils peuvent essayer de le contrôler pour produire un rêve extraordinaire ou prolonger un rêve agréable. »

Plus précisément, deux formes de « rêves lucides » existent, selon lui: le « rêve lucide ludique » et le « rêve lucide thérapeutique ». « Le rêve lucide ludique suggère que chacun est maître de son inconscient, le contrôle, produit ce qu’il en veut. Essayer de le faire réclame beaucoup d’efforts et dépend de la réceptivité des personnes. Mais la méthode que je préconise reste celle du rêve lucide thérapeutique, de manière exceptionnelle, consistant à induire le contenu d’un rêve récurrent qui serait cauchemardesque. J’invite les personnes qui en souffrent à prendre conscience qu’elles sont en train de rêver et à affronter le contenu désagréable, à voir ce dont il s’agit, plutôt que de se réveiller ou de s’enfuir. »

Un exemple précis de rêve lucide à vertu thérapeutique? Le psychanalyste cite les rêves de poursuite: « La personne suivie se sent impuissante, mais le danger est plus souvent supputé que réellement vu. Ce sont des croyances qu’elle a, soit celles d’être suivie, harcelée… Je l’invite alors à se retourner, à devenir lucide pendant le rêve et à regarder ce qu’elle fuit. À ce moment-là, tout change, car elle s’aperçoit qu’il s’agit d’un visage familier ou alors qu’il n’y a rien, que ce qu’elle prenait pour un poursuivant n’en est pas, et elle arrive à identifier ses peurs. »

Une méthode qui marche, selon l’onirologue, et qui, surtout, se prépare: « Il faut programmer son rêve le soir avant de dormir, se dire ‘je vais rêver de telle chose’ et induire une inflexion particulière dans le rêve ayant le pouvoir d’en changer le contenu. Je préconise une petite séance de respiration avant de s’endormir, une méditation, un apaisement du mental, une induction des images qu’on souhaite voir apparaître. Au bout d’une semaine, le rêve lucide se produit. »

Comment expliquer alors que l’on parle de plus en plus aujourd’hui de ces « rêves lucides ludiques »? « Si les gens s’y intéressent de plus en plus, c’est tout simplement une mode, un peu comme le ‘voyage astral’ dans les années 80, cette forme de dérive de la décorporation, soit sortir de son corps pour se promener un peu partout. » « Dans notre époque où tout doit être transparent, poursuit-il, il n’y a plus beaucoup d’occasions de rêver dans la vie réelle. Alors on veut rêver différemment, plus intensément, et profiter de la magie du rêve avec la toute-puissance infantile. » Mais le psychanalyste recommande d’éviter le rêve lucide hors contexte thérapeutique: « Il faut laisser l’inconscient s’exprimer et non de le contrôler », conclut-il.

Enfin, pour revenir sur Come True, s’il fallait citer un film illustrant au mieux l’état onirique? “Lynch est, avec Bunuel, le plus doué pour représenter les rêves au cinéma”, nous dit-il au téléphone. “L’un comme l’autre, ils se servent du matériel onirique. Ainsi, dans la série Twin Peaks, le passage du rideau rouge avec le nain qui danse sur un sol en damier correspond à une figure onirique extrêmement forte. Symboliquement, c’est lever le voile, c’est entrer dans la psyché la plus profonde et dans la représentation que l’on peut avoir de soi avec une alternance du yin et du yang, du masculin et du féminin. Dans Mulholland drive, vous avez la même mise en scène onirique extrêmement forte. La scène où un personnage raconte son rêve au Winkie’s à un autre et qu’en avançant vers ce qui l’effraie dans son rêve, il tombe sur un monstre, c’est une pure mise en abyme du rêve. L’effet est si efficace qu’il est impossible que Lynch n’ait pas intégré un de ces propres rêves dans cette séquence tant les images sont extrêmement porteuses. Bien sûr, c’est à chacun d’en tirer une conclusion.”

D’accord, mais selon vous, ça raconte quoi? “Le film en soi est un rêve pour moi, des hallucinations post-mortem. La blonde est morte, elle s’est suicidée, elle part dans un délire post-mortem où elle prend la place de la brune, elle inverse le processus, on comprend qu’elle est en train de rêver en voyant le couple de vieux passant sous la porte.” Vous aussi d’ailleurs, envoyez votre interprétation à redaction@chaosreign.fr, on publiera les plus limpides.

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