[« BELLE » PAR PASCAL-ALEX VINCENT] Décryptage du dernier Mamoru Hosoda

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Le réalisateur Mamoru Hosoda a présenté au 74e Festival de Cannes son dernier film Belle. Pascal-Alex Vincent, auteur du documentaire Satoshi Kon, l’illusionniste, qui était également présenté à Cannes, a donné ses premières impressions pour Chaos.

L’histoire de Belle a pour décor une petite ville rurale du Japon d’aujourd’hui. Une adolescente timide et brisée par la mort accidentelle de sa mère quand elle était petite, Suzu, s’invente une double vie sur internet où elle retrouve le goût de chanter et se surprend à devenir l’égérie musicale de millions de jeunes gens. La métamorphose est complète. Suzu devient Belle et l’uniforme de la petite collégienne triste laisse place à un look flamboyant de diva à la voix magnétique dans ce monde numérique virtuel supporté par une application ironiquement baptisée « U », qui signifie « Toi » en anglais alors que le site propose justement de transformer son identité. A mesure qu’elle additionne les fans, Suzu essuie un déferlement de haine en ligne. Au lieu de se laisser abattre, elle va contre toute attente utiliser son avatar pour y résister. La parole à Pascal-Alex Vincent.

« Je suis personnellement heureux d’avoir mis un pied dans la porte avec mon documentaire sur Satoshi Kon, l’illusionniste à Cannes Classics. Mais l’événement en termes d’animation japonaise, c’est Belle. Cannes n’a pas vraiment de tradition à l’égard de l’animation japonaise alors qu’il se produit des longs métrages animés au Japon depuis 1958. Le festival est longtemps passé à côté, donc je suis très content de la présence de Belle, dans la section Cannes Première. La salle était archi-pleine de fans et de spectateurs curieux de voir enfin l’animation japonaise monter le tapis rouge. En soi, Belle est un événement car le film marque les 10 ans du studio Chizu, ce studio d’animation co-fondé par Mamoru Hosoda et pour les 10 ans, ce dernier a mis le paquet puisque c’est certainement sa production la plus ambitieuse en tant que réalisateur et scénariste. Du coup, à Cannes, les gens s’en sont pris plein les yeux. La projection de Belle était vraiment électrique, Hosoda est arrivé en début de projection et la salle était déchaînée, il y avait une grosse fan-base mais c’était aussi une manière de saluer l’animation japonaise dans le Palais des festivals. Il y avait un public acquis et conquis mais qui ignorait encore l’incroyable beauté de ce qu’il allait découvrir. A la fin, il y a eu 15 minutes de standing-ovation particulièrement bruyante et joyeuse. La plus incroyable que j’ai vécu pendant ce festival. »

« Dans mon documentaire Satoshi Kon, l’illusionniste, Mamoru Hosoda dit qu’il est l’un des héritiers du romancier Yasutaka Tsutsui, le Philip K. Dick japonais. Une centaine de ses oeuvres sont traduites en France, et donc de nombreux romans de SF, notamment La traversée du temps, adapté par Hosoda et Paprika, adapté par Satoshi Kon. Ce qui est passionnant avec Belle, c’est qu’on est encore dans cet héritage-là. Le film nous rappelle constamment à quel point Hosoda est bien l’héritier de cet auteur puisqu’on y trouve plusieurs des thèmes de l’auteur Yasutaka Tsutsui tout en retrouvant ses thèmes de prédilection, à savoir la famille, déchirée par des drames le plus souvent ou par des secrets. Belle, c’est aussi et surtout un film spectaculaire. Du coup, ce qui est nouveau, c’est qu’on n’a jamais vu Hosoda faire un film à ce point immersif. On a vraiment l’impression de vivre une expérience. Ce n’est pas un secret si on a vu la bande-annonce mais le film expose un univers virtuel particulièrement animé, coloré et grandiose, et le film fait cohabiter le monde réel, soit la réalité d’une jeune lycéenne qui vit dans un milieu rural; et le monde virtuel, un monde dans lequel elle a un double. Exactement comme Paprika de Satoshi Kon dans lequel on présente un personnage féminin ayant un double dans des univers virtuels. Summer Wars de Hosoda en 2009 présentait lui aussi un univers virtuel aussi très complexe mais Belle bénéficie de moyens considérables – c’est une coproduction avec l’Europe, d’ailleurs. Le film se veut plus dans le registre de l’émerveillement, c’est à dire qu’effectivement, on est émerveillés par l’audace et la majesté de ce qu’on voit. Par ailleurs, le résultat est très scénarisé. C’est une des caractéristiques du film: il y a une profusion d’éléments et des personnages. Ce qui donne à Belle des allures de grand-huit duquel on peut ressortir tremblant et épuisé. Le pari, c’est que le scénario emprunte de nombreuses directions sans jamais se planter. C’est un spectaculaire film de SF, oui, mais c’est aussi une comédie et, c’est d’ailleurs chez Hosoda, un film musical, avec des chansons magnifiques. Ce qui m’a fait beaucoup plaisir, c’est que les gens riaient aux scènes de comédie. Je pense qu’à ce moment Hosoda s’est dit que le film était universel, qu’il allait faire rire tout le monde. Et comme c’est un film de SF, le film présente des univers virtuels très inventifs qui plairont, je pense, à tous les amateurs de Paprika, de Matrix, à tous ces films de SF proposant des univers virtuels. Pour moi, avec Belle, qui est un enchantement pour les yeux et pour les oreilles, Hosoda passe au niveau supérieur, il entre dans la cour des grands. » P.A.V. (propos recueillis par G.R.)

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